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Gespréich mam Roll Gelhausen

D’Joer 2024 wäert héchstwarscheinlech nees all Rekorder briechen – a Bezuch op d’Hëtzt an d‘Dréchent, op Stauen, Streidereien an all d’Krisen, déi eis am Klenge wéi am Grousse wäerten heemsichen. Dat ass op jidder Fall den Ausgangspunkt fir de Kabarettist Roll Gelhausen mem Stéck #Flashback #Heeschesäck #HuMerSossKengPéng?.

 

Du méchs zënter ville Joerzéngte Cabaret zu Lëtzebuerg, hues ë. a. matgeschriwwen un de Programmer vun den „Makadammen“ an „Cabarenert“. Wat huet sech am Laf vun der Zäit geännert?  

An der Gesellschaft huet sech natierlech vill geännert, dat ass evident. Ech stoung zwee, dräi Joer net op der Bün, mee lo hat ech d’Gefill, datt et nees Zäit wier, e Cabaret-Programm op d’Been ze stellen. D’Welt ass a Beweegung, dorops wëll ech reagéieren.

De Cabaret als Format, insgesamt kritesch Stëmmen – dovu sinn ech tatsächlech enttäuscht, virun allem, wéi wéineg Afloss si haut nach hunn, wann se iwwerhaapt jee Afloss haten. Insgesamt ass de Cabaret net méi sou breet opgestallt wéi deemools. Vill Gruppe si verschwonnen, an den Nowuess huet aner Formater, fir sech auszedrécken, zum Beispill Comedy, Poetry Slam oder Podcasts. An och do huet sech den Tounfall, d’Approche geännert. Wat awer och normal a gutt ass.

„#Flashback #Heeschesäck #HuMerSossKengPéng?“, sou heescht däin neie Programm, deen de 5. Dezember am Escher Theater ze entdecke wäert sinn. Wéi hues du un deem Text geschafft? Wéi kommen dir d’Iddien?  

De Programm deckt jo dat ganzt Joer 2024 of. Dat heescht, datt ech zënter dem Ufank vum Joer amgaange sinn ze sammelen: Gespréicher, Zitater, Noriichten, Artikelen, déi ech mir op d’Säit leeën. D’Heescheverbuet ass zum Beispill een Thema, mat deem ech mech beschäftegt hunn. Dat war u sech och den Aussléiser, dee mech effektiv esou opgereegt huet, datt ech mir gesot hunn: Dat dote geet sou net, do muss ech aktiv ginn, dat muss ech analyséieren a kommentéieren.

Wéi eng Sujeten hu fir dech nieft dem Heescheverbuet d’Joer 2024 ausgemaach?

Op där enger Säit kucken ech mir un, wat zu Lëtzebuerg lass war, natierlech déi nei Regierung, hir Optrëtter a Krisen, insgesamt dat, wat an der Ëffentlechkeet lass war. Et ass jo schon en anere Wand, deen do bléisst, méi e kalen a mengen An. Donieft gëtt et jo déi grouss Krisen, déi einfach weiderlafen, de Klima, d’Hëtzt, d’Iwwerschwemmungen. Op där aner Säit kommen ech net derlaanscht, och iwwer d’Grenzen ze goen, an Europa, awer och iwwer den Atlantik an d’USA. Et ass e Programm, dee vill vu Lëtzebuerg schwätzt an awer ëmmer nees de Sprong an aner Länner wot.

Gëtt et Themen, déi s du net upécks?

Et gëtt näischt, wat mir ze kriddeleg ass. Do setzen ech mir keen Tabu. Mee wat et gëtt, dat sinn Themen oder Pointen, déi ech net gutt ze pake kréien, déi ech sproochlech net sou ëmgesat kréien, wéi ech mir dat virstellen. Ech wëll jo kee Lieserbréif virliesen de ganzen Owend, dat heescht: Den Toun muss stëmmen, Ironie, Satir, Witz, eng gewësse Vitess.

Mir geet et dorëmmer, un de Grand Public ze kommen. Ech schwätze vill iwwer Themen, déi jidderee matkritt huet. Mir geet et awer net dorëmmer, d’Leit wéi bei den Noriichten ze informéieren, mee d’Aktualitéit an d’Evenementer sou ze verschaffen, datt se bei de Leit ukommen, datt si sech Gedanke maachen, wéinst der besonnescher Aart a Weis, wéi de Cabaret iwwer dat schwätze kann, wat grad an der Welt lass ass. Dat ass fir mech net just en artisteschen, mee och e politeschen Engagement.

Critique de „Je suis tigre“, les 13 et 15 octobre au Escher Theater

Avec Je suis tigre, le Groupe Noces propose un spectacle à mi-chemin de la danse et du cirque, destiné au jeune public, avec une composante graphique importante. Un spectacle intelligent et sensible sur la guerre et l’acceptation de l’étranger.

Comment aborder les thèmes difficiles avec les enfants ? On sait que les tabous et les non-dits ne les protègent pas, que les choses doivent au contraire être énoncées. Le cirque peut-il leur parler de la guerre, de l’exil, de la mort, du racisme ? L’autrice Aurélie Namur et la chorégraphe Florence Bernad ont choisi de répondre par la positive : leur spectacle Je suis tigre, destiné aux 6 ans et plus, confronte son public à tous ces thèmes. Mais il le fait de manière progressive, et par suggestion, ce qui évite d’imposer des images violentes aux enfants. Pour cela, le spectacle met en scène la relation de Marie et d’Hichem, un enfant dont on ne sait d’abord rien à part qu’il vient de loin, et dont on va découvrir le destin tragique.

Pour incarner cette histoire, deux interprètes se partagent la scène. Vêtus de façon banale, ils se rencontrent, établissent une connivence, et se lancent rapidement dans une acro-danse à la fois souple et nerveuse. L’histoire est principalement narrée en voix off, mais les interprètes contribuent à la mettre en images, au-delà de la mise en mouvement, en dessinant sur une grande toile. Sous leur feutre naissent un arbre, les contours d’une maison, la tête d’un tigre, auxquels viennent se joindre des images projetées. Fluide et harmonieuse, la rencontre des langages artistiques permet d’évoquer la tragédie avec pudeur. Quand Hichem décrit sa transformation en tigre, c’est un moment de poésie, en même temps que l’histoire d’un petit garçon qui doit s’endurcir et renoncer à son enfance pour survivre. Cette invitation simple et délicate à la tolérance est tout de même, aussi, un message d’espoir : le récit d’une façon de découvrir la joie malgré l’adversité.

Mathieu Dochtermann, Journal La Terrasse

Simon Abkarian reprend „Électre des bas-fonds“, les 3 et 4 octobre au Escher Theater

Simon Abkarian reprend sa version d’Electre, créée au Théâtre du Soleil en septembre 2019. Une tragédie de chair et de sang d’une puissance dramatique exceptionnelle, fusionnant jeu, musique, danse et chant. Un spectacle total, porté par une vingtaine d’artistes de haut vol, récompensé par trois Molières et deux Prix du Syndicat de la critique. À ne pas manquer !   

Au Théâtre du Soleil, lieu de merveilles et d’apprentissage qui l’a vu devenir grand artiste sous le regard d’Ariane Mnouchkine, Simon Abkarian présente à nouveau sa flamboyante tragédie de la vengeance, d’une force et d’une beauté sidérantes. Avec d’extraordinaires personnages, et un extraordinaire chœur. Toute de douleur, de misère, de colère, l’Électre de Simon Abkarian (intense Aurore Frémont), princesse devenue servante dans un bordel des bas-fonds d’Argos, aspire à venger son père assassiné par sa mère Clytemnestre et son amant Égysthe. Oreste, le frère d’Électre (Eliot Maurel remplace Assaad Bouab), exilé en fuite qui se déguise en femme, est appelé à contrecœur à accomplir le terrifiant matricide. Mère dévastée, Clytemnestre (sublime Catherine Schaub Abkarian) pleure la mort de sa fille Iphigénie, immolée par son père Agamemnon, héros de guerre. « Là où vit Électre, il n’y a pas de dieux. Il y a la nuit qui n’en finit pas de tomber sur les damnés de ce monde » souligne l’auteur, metteur en scène et comédien. La fable qu’il raconte est une histoire impressionnante de chair et de sang, de souffrances et de vengeances, où comme toujours Simon Abkarian rend justice aux femmes.

Une éblouissante fête de théâtre

Nourrie d’expériences et de science, la langue hardie, limpide, puissante éclaire brillamment les mythes, les meurtres et les malédictions. La scène mobilise ici tous ses moyens pour créer au cœur du tragique une fête de théâtre universelle et intemporelle, en unissant la parole, la musique et la danse, en convoquant les spectres, en accordant une importance majeure au chœur. « Le chœur donne sa puissance aux histoires individuelles. Le chœur est le témoin d’avant le meurtre. Il voit tout en amont. Il flaire le sang à venir, le pressent, l’annonce. C’est le chœur qui fait nôtre le protagoniste. Il en est la matrice » confie Simon Abkarian. Un chœur féminin surtout. Un chœur de celles qu’on ne se soucie jamais d’entendre, de prostituées qui chantent, dansent, racontent leur condition de putains asservies. La danse s’inspire notamment des gestes du Kathakali – on se souvient de la grâce des Kathakali Girls, épopée dansée par Catherine Schaub Abkarian, Annie Rumani et Nathalie Boucher, à nouveau réunies pour Électre. Quant à la musique, les sons rock ou blues du trio Hawlin’ Jaws s’aventurent ici vers des rives inédites. Porté par quatorze comédiennes-danseuses, quatre comédiens-danseurs et trois musiciens, dont Djivan, le fils de Simon, ce spectacle merveilleux emporte et subjugue autant l’esprit que le cœur. Un chef-d’œuvre qui reste en mémoire, dans l’écrin exceptionnel du Théâtre du Soleil.

Agnès Santi, Journal La Terrasse 

« Leurs enfants après eux » : l’histoire du projet

Leurs enfants après eux est une adaptation théâtrale en quatre épisodes du roman de Nicolas Mathieu, lauréat du prix Goncourt 2018. Les trois metteur·es en scène nous disent quelques mots sur l’origine du projet et leur lien personnel à l’univers que déploie l’auteur lorrain dans une Lorraine désindustrialisée.

Carole Lorang : J’ai lu le roman de Nicolas Mathieu en décembre 2018, quelques mois après avoir pris la direction du Escher Theater. Son propos et son univers me sont apparus comme un moyen de me relier à la région du Grand Est et surtout au voisinage direct de la ville d’Esch. Une bonne partie de nos spectateur·rices vient d’Uckange, Florange, Hayange mais également d’Audun-le-Tiche ou de Longwy. Beaucoup d’entre eux passent tous les jours la frontière pour venir travailler au Luxembourg, au sud du pays mais également à Luxembourg-Ville. Cette région, j’ai voulu la montrer de l’intérieur et le livre de Nicolas Mathieu était le bon déclencheur.

Bach-Lan Lê-Bà Thi : Lorsque j’ai découvert le roman j’ai tout de suite eu un coup de coeur pour l’intelligence de l’écriture de Nicolas Mathieu. Il pose un regard documentaire sur ces personnages qui évoluent dans une région qui s’abîme. Son récit évoque une population confrontée à une absence de perspective. Il nous a semblé pertinent de donner à voir cette oeuvre au Luxembourg qui a connu un autre destin mais qui continue à entretenir énormément de liens avec la région voisine. Pour moi il y avait tout de suite cette envie de voir ces personnages si attachants du roman sur un plateau. Et puis il y a l’époque des années 1990. J’ai eu 16 ans en 1992, je retrouve donc une génération qui est la mienne et je m’y reconnais. Il y a un écho, quelque chose de l’ordre de la revisite de l’histoire personnelle. Dans l’écriture de Nicolas Mathieu, il y a ce réalisme par rapport à ce que les adolescents vivent. Cela m’a énormément parlé.

Éric Petitjean : Quand Carole a lancé cette création, l’idée de la mettre en scène à trois en tenant compte de nos regards respectifs m’a tout de suite plu. Comment être créatifs à trois, comment partager une création à trois ? Ce qui m’a attiré plus particulièrement dans le roman, c’est également cette période des années 1990, le regard sur la jeunesse, le contexte social. Ce qui se joue pour moi dans le roman de Nicolas Mathieu est cette question de la mémoire du passé industriel. Tant que l’héritage de cette mémoire n’est pas digéré, il y a un scénario qui revient toujours, qui se reproduit entre plusieurs générations. Les enfants récupèrent la mémoire mal vécue, les histoires mal vécues de leurs parents, la reproduisent à leur façon, la retransmettent. J’ai eu cette impression d’un scénario qui tourne en boucle, qui n’est jamais vraiment réglé jusqu’à ce qu’une génération le prenne en charge pour pouvoir passer à autre chose. Il y a aussi le fait que cela se passe en été, ce qui donne l’espoir d’un renouveau. Par rapport à ce monde dur et ce contexte social assez sombre, on retrouve en été une certaine douceur, il y a les conneries, les bêtises, les rigolades…

Carole Lorang : C’est une vraie pause. L’ennui ici a un côté positif. Pendant les vacances de l’été, on peut vraiment lâcher quelque chose, surtout en tant qu’adolescent. On gagne une certaine liberté à l’abri du regard des parents. Et puis il est vrai que dans les années 1990, il y avait de l’espoir, c’était très surprenant aussi ! Il y avait l’espoir pour cette région de se réinventer, de trouver un nouvel élan comme l’avait entamé son voisin luxembourgeois. Finalement on se rend compte que les deux régions n’ont pas trouvé de solution commune mais plutôt une interdépendance.

Propos recueillis par Claire Wagener pour le Escher Theater

Édito de la directrice

„Ich glaube an Konflikt. Sonst glaube ich an nichts.“ Heiner Müller

La saison 24/25 s’ouvre avec le spectacle Électre des bas-fonds de Simon Abkarian, créé au Théâtre du Soleil : une réécriture sombre et festive du mythe des Atrides. C’est l’histoire d’une combattante du quotidien qui devient la porte-parole des outragées, dans une lutte de tous les instants pour la dignité humaine.

Cette proposition marque le coup d’envoi d’une série de spectacles qui, tous, mettront en scène des personnages de femmes en révolte contre la société de leurs pères, bien décidées à faire entendre leur voix et contester la mainmise des hommes sur la politique.

La révolte a différents visages. Si elle finit mal dans Électre et Antigone, elle s’avère trouble et surprenante dans Les glaces, où une mère se solidarise avec la victime de son fils. Dans Fidélité(s) et L’odeur de la guerre, la révolte prend la forme de l’affirmation de soi de jeunes sportives. Dans Les jours de la lune, elle est la volonté de briser enfin, avec autodérision, le tabou des règles.

L’humour, révolte permanente contre les idées reçues et la morosité, aura aussi sa place. François Morel met en scène et joue dans Art avec « sa famille » des Deschiens, et Roll Gelhausen prend un malin plaisir à partager ses réflexions sur l’actualité politique luxembourgeoise.

Cette saison, vous allez retrouver des danseur·euses et des circassien·nes qui célèbrent la collectivité et le sens du partage, à l’exemple de la troupe Circus Baobab de Guinée, impressionnante avec ses acrobaties confinant au délire festif et cathartique.

Enfin, nous montons le dernier spectacle imaginé par Frank Feitler à partir du roman Zwei Herren am Strand, qui raconte la rencontre improbable de Charlie Chaplin et Winston Churchill face à un même combat – celui contre la mélancolie.

„MEMM“ ou la résilience joyeuse

Gravement blessée au bras lors des attentats du 13 novembre 2015, l’acrobate-voltigeuse Alice Barraud a créé MEMM, un spectacle qui raconte sa lente reconstruction physique et morale, dont une représentation aura lieu le 7 juin au Escher Theater. Elle est sur scène avec Raphaël De Pressigny, le batteur du groupe Feu! Chatterton.

MEMM. C’est l’acronyme de l’expression qu’Alice Barraud a entendu tant de fois, elle qui a été au mauvais endroit, au mauvais moment.

Ce „mauvais moment“, c’était le 13 novembre 2015. Attablée à la terrasse du Petit Cambodge, la jeune femme est touchée de plein fouet par une balle de kalachnikov qui traverse son bras gauche. La carrière de cette circassienne, diplômée du Centre Régional des Arts du Cirque de Lomme, spécialisée dans la voltige de main à main et le portique coréen, est brutalement arrêtée. Pour de bon selon certains médecins pour qui elle ne reprendra jamais son activité. „Heureusement, dans le lot, il y a eu un merveilleux chirurgien, un seul, qui m’a laissé entendre qu’en fait, personne n’en savait rien. Je me suis accrochée à ce mini-espoir.“

L’espoir passe d’abord par la reconstruction physique. Alice subit plusieurs opérations. „On a cherché ensemble comment faire pour réparer mon bras au mieux. Il fallait parfois choisir entre le solide et le pratique. Ainsi, on a conservé mon cubitus cassé pour permettre le geste de la rotation du poignet. J’ai dû me muscler pour protéger l’os cassé et pouvoir à nouveau tirer et pousser avec ce bras, mais il y a des choses que je ne peux plus faire comme les autres.“

Vient ensuite la reconstruction morale, aussi longue et douloureuse. Dès sa sortie de l’hôpital, Alice note dans des carnets son quotidien, ses doutes, ses difficultés, ses espoirs, ses rechutes. „Je voulais raconter ça sans mentir. A chaque fois, on essaye, on retombe et on se relève. C’est comme ça que je me suis reconstruite, en me disant que je pouvais aller plus loin. Ça a marché, mais pas totalement“, avoue t-elle avec un sourire. „Je suis encore handicapée ! Mais en tout cas, dans la vie, il n’y a rien qui me touche plus que quelqu’un qui se bat pour aller plus loin“.

Malgré ce handicap, la jeune femme a trouvé l’énergie d’inventer son propre langage corporel et de nouvelles façons de pratiquer la voltige. Dans le spectacle, elle est suspendue à un trapèze, chose qui paraissait inimaginable au départ.

Avant ce drame qui a failli mettre un terme à sa carrière, Alice travaillait au sein de compagnies avec d’autres artistes. En créant son propre spectacle autour de son histoire, elle a aussi repris les rênes de sa vie. Une façon de ne plus dépendre des autres.

Dans la vie et sur scène, Alice n’est pas seule. Raphaël De Pressigny, son compagnon, l’a soutenue et accompagnée dans cette renaissance humaine et artistique. „Pour ce spectacle, il a fallu assurer tous les recoins d’une reconstruction post-traumatique“, explique celui qui est aussi le batteur du groupe Feu! Chatterton. „Ça passe par énormément d’émotions différentes. Des émotions dures comme la douleur, la colère, la tristesse, mais aussi énormément de scènes absurdes, drôles, belles, poétiques“.

La musique a permis de transcender cette matière parfois “lourde”, de la digérer. „Sa musique m’a offert de sortir des choses que je n’arrivais pas à dire avec des mots, notamment sur le thème du handicap“, souligne Alice Barraud. „En bougeant, j’ai pu exprimer avec le corps ce que j’avais besoin de dire“.

Article de Chrystel Chabert paru sur Franceinfo Culture

Entretien avec Jean-Louis Martinelli

Jean-Louis Martinelli met en scène la farce imaginée par Molière, double charge contre l’abus de pouvoir paternel et l’ignorance assassine des médecins, servie par des comédiens flamboyants. Deux représentations auront lieu au Escher Theater les 8 et 9 novembre.

Comment ce projet est-il né ?
Dominique Bluzet m’a fait part de son désir de travailler sur des formes courtes de théâtre classique pour aller à la rencontre des gens qui ne vont pas au théâtre. La pièce est créée au théâtre d’Aix en intérieur, mais l’objectif est de pouvoir la jouer partout, y compris en extérieur. Seule contrainte impérative : il fallait que le spectacle ne dure pas plus d’une heure. Je me suis alors souvenu de cette courte pièce de Molière, sorte de brouillon du Médecin malgré lui. Un seul élément matériel (les costumes, que Christian Lacroix a accepté de réaliser) soutient l’imagination. Sinon, le décor se réduit au strict minimum : une table et une chaise. Lully avait composé la partition de cette comédie-ballet, mais dans la mesure de l’objectif assumé d’accessibilité, j’ai renoncé à la musique baroque et j’ai demandé à Sylvain Jacques d’imaginer une musique plus contemporaine, qui corresponde mieux à l’esprit du projet.

Quelle lecture faites-vous de la pièce ?
La pièce aborde essentiellement deux thèmes : celui du mariage forcé et de l’autorité imbécile des pères, qui peut encore faire écho aujourd’hui, et celui des atermoiements ignorants et des contradictions de la médecine qui, en cette sortie de pandémie, résonne forcément à nos oreilles qui ont entendu pendant des mois des médecins sur les ondes pour dire tout et son contraire. Molière écrit la pièce au moment où les médecins charcutaient Anne d’Autriche, la mère de Louis XIV, littéralement dépecée pour soigner son cancer du sein. Mais sa critique de la médecine de l’époque est aisément transposable. La farce s’appuie aussi sur la folie du père qui ne veut pas lâcher sa fille. Son prétendant se fait passer pour un médecin, d’où le titre de la pièce. Mais mieux que l’amour, je crois que c’est le théâtre qui soigne cette fille, et qui accessoirement nous sauve nous tous ! Il est intéressant d’interroger la forme de mélancolie qui saisit cette jeune fille, que Charcot aurait peut-être traitée comme une hystérique. Feints ou réels, ses symptômes apparaissent à partir du moment où on lui refuse son prétendant et où elle choisit la dépression comme refuge. Hors de ces considérations, je veux surtout traiter cette pièce comme une farce, dans la veine de la commedia dell’arte, en travaillant sur le grotesque. Deux médecins dont l’un bégaye pendant que l’autre allonge les mots, un père ridicule, une servante, sorte d’Arlequin au féminin : le travail sur les costumes va aussi en ce sens et la générosité du jeu des comédiens convient parfaitement au projet.

Vous n’avez pas souvent monté Molière…
En effet, je ne l’ai monté qu’une fois, avec Jacques Weber dans L’Avare. Pour moi, Molière, c’est une sorte de souvenir d’enfance, lié au plaisir pris à sa lecture quand j’étais adolescent. Mais plus qu’un retour à l’enfance, c’est une plongée dans le plaisir du jeu et des situations. La sensualité du jeu est réelle dans cette pièce et il y a un plaisir évident à la farce. Derrière les thèmes abordés, résonne l’angoisse de la mort que nous avons traversée pendant la pandémie : il y a quelque chose comme une revanche que porte la jouissance de la farce.

Propos recueillis par Catherine Robert pour le Journal La Terrasse

Entretien avec les soeurs h

Connues pour leurs narrations originales, leurs vidéos expérimentales et une musique live déconcertante, les performances des sœurs h et Maxime Bodson sont des créations satellites qui détonnent à coup sûr. Deux représentations de Totale éclipse auront lieu au Escher Theater les 17 et 18 mai, avec un message percutant  : exister, sans compromis, bien au-delà des sempiternels poncifs et stéréotypes. 

Totale Eclipse n’est pas une première mais s’inscrit plutôt dans un chantier au long cours, celui de questionner les normes, les cadres, de ne pas rechercher une forme homogène.
Marie Henry : Avec Isabelle, nous essayons toujours de réinterroger notre manière de travailler ensemble. C’est important pour ne pas nous ennuyer et cela nous permet de créer aussi des objets toujours un peu différents. Nous travaillons en ping-pong : une fois, c’est elle qui apporte en premier la matière visuelle, une fois c’est moi qui vient avec la matière textuelle, une autre fois c’est Maxime avec sa proposition musicale, une fois c’est le côté plus performatif qui est mis en avant, etc. Nous sommes donc passées par différentes formes : d’abord des vidéos, puis des installations vidéo, puis des « espaces narratifs hybrides » avec Maxime qui jouait en live sur les projections, puis de la performance avec deux adolescentes sur scène qui agissaient d’une manière picturale dans l’image, et puis, ici, à quelque chose de plus théâtral, avec Augusta (sa fille).

Dans Totale Eclipse on voit notamment des enfants et des personnes âgées : comment vous est venu ce choix de porter l’attention particulièrement sur elles et eux ?
M. H. :Tout d’abord, comme Augusta le dit dans son texte forcé, « pour des contraintes économiques, pas pour des raisons sentimentales » ! Tout comme nous avions Augusta sous la main, nous avions pendant les vacances d’été nos parents à disposition. Nous devions filmer vite. En quelque sorte, les « comédien·nes » étaient tout trouvé·es. Il est vrai qu’en plus de ce travail « familial-artisanal » qui nous caractérise, nous ne travaillons jamais avec des comédien·nes professionnel·les. Pour nous, il n’y a aucun intérêt à savoir jouer. Ça dessert même un peu. Quand Isabelle filme, elle ne fait que donner des consignes telles que : marche, recule, tourne le visage, fais semblant de lécher une glace, etc. Tout le monde est capable de le faire ! Nos parents étaient assez ébahis à vrai dire de ce qu’on leur demandait… Et puis cette contrainte a fait sens. Nous avons trouvé intéressant de mettre en miroir la jeunesse et la vieillesse. Car ce sont finalement deux groupes qui posent la question du cadre. Cadre dans lequel nous les maintenons, enfermons, ou duquel on les exclue. Aux enfants on dit : fais ceci, fais cela, ne fais pas ça, attention à… Et à qui demandons-nous de sortir du cadre ? De devenir presque invisibles ? Aux personnages âgées, qui ne représentent plus un marché économique et nous renvoient à la vieillesse qu’on ne veut pas voir. Mais encore une fois, parler du fait qu’on met au ban de la société les personnes âgées et que les enfants sont enfermé·es dans nos attentes n’était pas le point de départ : cela s’est construit en cours de route.

Isabelle Henry Wehrlin : Avec une thématique comme « Tout est possible », nous ne voulions pas traiter de sujets « in », comme la question du genre par exemple. Car cela aurait été trop dans le cadre du moment, justement… Mais plutôt porter une attention sur ce qui se joue discrètement au quotidien, ce qui se montre moins, intéresse moins.

Au niveau formel, Totale Eclipse cherche à dérouter, à surprendre : par quels moyens avez-vous cherché à contrer les attentes ?
M. H. : Nous ne cherchons jamais à traduire un seul message mais plusieurs, en jouant avec les couches narratives. Nous déconstruisons toutes les deux une forme de pensée linéaire, par le travail de l’image, l’écriture fragmentée et la musique de Maxime qui n’est pas spécialement « narrative ». Nous déroutons donc toujours un peu par ce travail en multicouches, qui parle à chacun·e d’une manière différente et renvoie finalement les spectateurs et spectatrices face à leur propre histoire. Comme il y a des manques et des confrontations de narration, ils et elles doivent un peu lâcher prise, et c’est aussi une demande qui peut dérouter. Être face à un sens unique est plus confortable. Et c’est vrai que nous aimons particulièrement brouiller les pistes, et placer les spectateurs et spectatrices face à leurs ambivalences ou contradictions. La morale est vraiment quelque chose qui ne nous intéresse pas et fuyons à tout prix. Nous préférons questionner : qu’est-ce que ça provoque chez moi de voir une représentation d’un corps âgé ? Avons-nous vraiment évolué dans le rapport hommes-femmes ? Ne sommes-nous pas toujours enclin·es à répondre à des attentes ?

Propos recueillis par Culture & Démocratie

„Abysses“ : l’histoire du projet

Dans Abysses, l’auteur sicilien Davide Enia nous emmène sur l’île de Lampedusa, à la rencontre de ces femmes et de ces hommes qui, fuyant les guerres et les famines, ont vu leurs espoirs d’une vie meilleure se fracasser en mer. La metteure en scène Alexandra Tobelaim nous parle de la génèse de ce projet de théâtre dont deux représentations auront lieu au Escher Theater les 9 et 10 février.

En septembre 2011, je découvrais lors d’une commande de mise en lecture dans le cadre d’Actoral et de Face à Face, le texte Italie-Brésil 3à2 de Davide Enia. Solal Bouloudnine était l’acteur/lecteur de cette aventure. Une rencontre. Je dis souvent que c’est le texte qui nous a choisi, car rien ne nous prédisposait à monter ce texte, et encore moins à le jouer plus de 160 fois durant 6 ans. Ce fût une belle et grande aventure que nous avons arrêté à l’été 2018. Lorsqu’on a partagé tant de choses ensemble, on se dit que le chemin à faire est encore devant nous, et Solal et moi-même, comédien et metteuse en scène, voulions continuer ensemble ce chemin.

Au mois d’octobre 2018, le traducteur d’Italie-Brésil 3à2, Olivier Favier, m’envoie le nouveau texte de Davide accompagné de ce mot : « Davide vient de m’envoyer son dernier texte, L’Abisso, qu’il a écrit sur les migrants et Lampedusa. Un texte relativement bref, vingt-cinq pages – je te l’envoie en italien pour te donner une idée- je l’ai parcouru et c’est fort, ça part de rencontres, d’échanges… ».

Ces mots d’Olivier parlant d’un texte sur les personnes réfugiées auguraient d’un écrit sans complaisance car c’est son sujet depuis 2012. En effet, cet historien de formation parcourt la France depuis lors pour alerter sur la situation dans la corne de l’Afrique ; il a lui-même écrit un très très beau témoignage sous forme de livre documentaire Chroniques d’exil et d’hospitalité.

Le texte n’étant pas encore traduit, je le lis dans sa langue d’origine (l’italien), qui n’est pas tout à fait la mienne, mais un peu quand même. Et malgré la distance de la langue, je suis prise dans la force de ce récit. Récit dans lequel Davide met des mots sur la complexité de l’humain dans ce rapport aux migrants, à cette crise humanitaire qui se déroule sur les plages du Sud de l’Europe et dans nos villes. Des bouts d’histoires qui racontent sans complaisance ces hommes et ces femmes qui arrivent sur ces plages, ces « vies » venues trouver l’espoir d’une existence meilleure en Europe. Le texte donne aussi la parole à celles et ceux qui accueillent des femmes et des hommes convaincus mais pas seulement.

Le texte n’amène aucune réponse. Il nous permet d’entrevoir d’un peu plus près la réalité de celles et ceux qui font ces sauvetages en mer, celles et ceux qui sont là pour accueillir ou pas, sans jugement. Comme par exemple le gardien du cimetière qui ne peut se résoudre à ne laisser aucune trace de ces vies, malgré la quantité de corps à enterrer. S’entremêle à ce récit du monde en marche, l’histoire plus intime plus personnelle du narrateur, de Davide avec son père. L’histoire d’un fils et son père dans une relation où les mots font défaut, où règne le silence. Le temps du récit, ces deux histoires se superposent. Elles sont animées de la même fragilité, toutes deux nourries d’espoir.

Ce qui est beau dans ce texte, comme dans la vie, c’est qu’il est construit de « petites choses de rien », d’actes du quotidien. Rien d’héroïque. Loin des grands discours, ces « petites choses de rien » font sens. Elles le font d’autant plus sur un plateau de théâtre car à cet endroit-là, à l’abri de la lumière du dehors, on peut leur rendre hommage dans toutes leurs dimensions et redonner ainsi une place à l’humain.

Le théâtre est juste, nécessaire et joyeux dans cette fonction-là.

D’autant qu’il y a urgence à livrer cette parole qui ne participe pas à la stratégie actuelle de l’information, celle qui nous condamne à l’émotion en nous éloignant de la complexité des situations et de leurs origines, et qui peut-être nous réduit à l’inaction, tétanisés par la quantité de détresse qui se déverse en Europe. C’est ici la parole d’un poète qui nous permet de vibrer, d’entrevoir cette réalité dans sa dimension humaine, qui redonne courage, foi et énergie.

Il y a donc l’urgence, à dire cela, à écouter cela aujourd’hui.

Alexandra Tobelaim

Entretien avec Karl Biscuit

Marcia Barcellos et Karl Biscuit, alias Système Castafiore, n’ont pas leur pareil pour créer des mondes fantastiques d’une beauté envoûtante. Kantus, créé à Grasse où leur compagnie est installée, dans le cadre du Festival de Danse de Cannes, ne fait pas exception. Une représentation est programmée au Escher Theater le 19 janvier. 

Quel est le point de départ du projet ?
Une archéologie du futur. On observe qu’à travers les âges et les cultures, la représentation de mondes disparus est un sujet constant : culte des ancêtres, esprits des morts, figures animales sacrées. L’imaginaire se mêle à la mystique dans une quête ontologique. Qu’en sera t-il dans notre futur, promis à la sixième extinction des espèces ? C’est ce que nous avons imaginé, à travers les activités de personnages hybrides qui organisent une sorte de cérémonie, un rituel mystérieux, voué à célébrer une époque révolue, sans doute la nôtre. Enfin, nous abordons la question de la spiritualité, aujourd’hui bien souvent confisquée par toutes sortes d’orthodoxies, de fondamentalismes et de dérives sectaires. Nous évoquons une humanité des temps futurs qui se confronte gaiement à la notion de transcendance.

On retrouve souvent la même équipe de création. Est-ce que vous créez en collectif ?
Nous tentons de prolonger, à notre façon, les travaux d’Alwin Nikolais, chorégraphe de l’« Art total » dont nous fûmes élèves. Dans nos pièces, il n’y a pas de subordination entre les disciplines : danse, musique, costumes, lumières, décors, vidéos et machineries théâtrales participent de la conception du spectacle. C’est donc un travail d’équipe qui s’appuie sur de multiples compétences. Il y a une direction artistique assumée par Marcia Barcellos et Karl Biscuit, on ne peut parler de collectif. Pour autant , les danseurs participent à l’écriture chorégraphique et les artistes qui nous accompagnent apportent énormément par leur créativité et leur talent. Être fidèles à nos équipes est le gage d’une grande complicité : par exemple, avec Christian Burle et Jean-Luc Tourné qui partagent nos aventures depuis plus de vingt ans ! Pour Kantus, nous avons pu donner une dimension « opératique » grâce à la présence de quatre chanteurs sur scène. Ils interprètent des chants polyphoniques a cappella, écrits et arrangés pour le spectacle. Ils sont aussi partie prenante de la mise en scène et incarnent des personnages. Avec neuf interprètes, les voix se conjuguent au mouvement dans ce projet immersif.

Vous êtes précurseurs dans la « création hybride » y a-t-il des pistes techniques que vous souhaitez développer par la suite ?
A l’époque du métaverse, l’art du théâtre est-il désuet ? Au contraire, sommes-nous susceptibles de nous approprier les avancées technologiques pour inventer de nouvelles formes ? C’est ce que l’histoire de nos métiers semble indiquer. Qu’il y ait donc des rideaux qui s’ouvrent sur ces mondes où le réel se mêle à l’imaginaire pour encore nous émerveiller !

Propos recueillis par le Théâtre National de Chaillot

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