Non classé

Axe et son théâtre de l’absurde

Agnès Limbos (Gare centrale) vient du théâtre d’objet, Thierry Hellin (Une Compagnie) du théâtre de texte. Dans Axe ils testent sur scène l’alchimie de leurs deux univers.
Leurs réflexions se sont portées, entre autre, sur la notion de sacrifices ou comment certaines personnes deviennent les sacrifiés de multinationales religieuses, économiques ou politiques. Pour répondre à la déraison du monde dans laquelle l’humanité se perd, un homme et une femme entrent en scène. Si la narration se tisse entre les tableaux, c’est sans linéarité et sans logique palpable, à l’instar du théâtre de l’absurde. Quelque part, hors temps, dans un huis clos au décor bourgeois, un couple de décadents s’envoie des dialogues (en français, en anglais, en russe, en sabir…) infinis et sans queue ni tête. Le langage du corps comme celui des mots se décale, hors de notre communication «habituelle», comme un miroir de notre société en perte de sens immédiat.

« Ce sont des dirigeants, peut-être des dictateurs », précise Agnès. « Ils sont complètement paranos, ils ont peur de sortir, peur de ce qui pourrait leur arriver dehors. Peut-être qu’il y a de la neige, ou la guerre, le chaos. Peut-être qu’il n’y a plus rien. Nous avons travaillé sur certaines références historiques, comme Hitler ou le couple Ceausescu. Il est aussi beaucoup question de sacrifice dans le spectacle : l’idée de se sacrifier soi-même ou les autres pour son propre bien-être. C’est une métaphore de notre société : je pense que le rôle du théâtre est de raconter le monde, et l’ampleur du mal-être actuel. »

Propos recueillis par Estelle Spoto dans Le Vif L’Express n°34

„Histoire de la violence“, d’après Edouard Louis, adaptation et mise en scène de Laurent Hatat et Emma Gustafsson

Avec Louis Arene (Edouard), Samir M’Kirech (Reda) et Julie Moulier (Clara), Histoire de la violence (Editions du Seuil, 2016) retraverse l’autofiction polyphonique d’Edouard Louis. 

Pour quelles raisons avez-vous porté à la scène Histoire de la violence ?

L.H. : J’ai ce projet en tête quasi depuis la sortie du livre. Je connaissais alors Edouard Louis grâce à Didier Eribon, l’auteur de Retour à Reims. Je l’ai dans un premier temps laissé de côté car je ne savais pas quel langage scénique adopter pour capter toute l’amplitude et la complexité du texte. Avec des scènes de violence comme des boucles répétitives, fragmentaires, le récit provoque une sensation d’effroi. Edouard y raconte sa rencontre un soir de Noël avec Reda, Place de la République. Il le fait monter chez lui, et ce qui a commencé comme une belle histoire se termine par une agression et un viol. Le lendemain ont commencé les difficiles démarches médicales, policières et judiciaires, qui ouvrent des débats à la fois intimes, sociaux et politiques. C’est en compagnie d’Emma Gustafsson, issue de la danse contemporaine et aussi comédienne, que j’ai élaboré l’adaptation. Nous avons façonné un théâtre charnel, où parfois les mots se taisent pour laisser place au mouvement des corps.

Est-on dans un théâtre de l’incarnation ?

L.H. : Pas seulement. Divers modes de jeu s’entrelacent, avec des temporalités différentes, des narrations fragmentées, des ruptures, des moments incarnés, mais aussi réflexifs, lors desquels la pensée se livre, ce qui peut s’avérer tout aussi émouvant qu’une situation jouée. La pièce commence par une mise en abyme, lorsque Edouard derrière une porte écoute sa sœur raconter à son mari le récit qu’il lui a livré la veille, dans sa langue à elle. Nourrie de toutes ces voix, d’approches multiples, de tensions et de failles, la pièce apparaît comme un miroir brisé reflétant les désirs et les violences.

Propos recueillis par Agnès Santi, Journal La Terrasse

L’Homme à tête de chou : Gainsbourg et Bashung réunis le 3 mars au Escher Theater

Chez Max coiffeur pour hommes
Où un jour j’entrais comme
Par hasard me faire raser la couenne
Et rafraîchir les douilles
Je tombe sur cette chienne
Shampooineuse
Qui aussitôt m’aveugle par sa beauté païenne
Et ses mains savonneuses
Elle se penche et voilà ses doudounes
Comme deux rahat-loukoums
À la rose qui rebondissent sur ma nuque boum boum
Je pense à la fille du Calife
De la mille et deuxième nuit
Je sens la pointe d’un canif
Me percer le cœur je lui dis
« Petite je te sors ce soir o.k. »
Elle a d’abord un petit rire comme un hoquet
Puis sous le sirocco du séchoir
Dans mes cheveux
La petite garce laisse choir
« Je veux ».

Paroles : Serge Gainsbourg

De la définition (simple) du courage

Cambrioler une banque ne va pas sans danger ni, partant, sans courage. Ce n’est pas moral pour autant, ou du moins il faudrait des circonstances bien particulières (concernant spécialement les motivations de l’acte) pour que cela puisse le devenir. Comme vertu, au contraire, le courage suppose toujours une forme de désintéressement, d’altruisme ou de générosité. Il n’exclut pas, certes, une certaine insensibilité à la peur, voire un certain goût pour elle. Mais il ne les suppose pas nécessairement. Ce courage-là n’est pas l’absence de peur : c’est la capacité de la surmonter, quand elle est là, par une volonté plus forte et plus généreuse. Ce n’est plus (ou plus seulement) physiologie : c’est force d’âme, face au danger. Ce n’est plus une passion : c’est une vertu, et la condition de toutes. Ce n’est plus le courage des durs : c’est le courage des doux, et des héros.
(…)
La peur paralyse, et toute action, même de fuite, s’en arrache quelque peu. Le courage en triomphe, du moins il s’y essaie, et il est courageux déjà d’essayer. Quelle vertu autrement ? Quelle vie autrement ? Quel bonheur autrement ? Un homme à l’âme forte, lit-on chez Spinoza, «s’efforce de bien faire et de se tenir en joie» : confronté aux obstacles, qui sont innombrables, cet effort est le courage même.
(…)
Pour le reste il faut rappeler que le courage n’est pas le plus fort, mais le destin ou, c’est la même chose, le hasard. Le courage même en relève et y reste soumis. Pour tout homme, il y a ce qu’il peut et ce qu’il ne peut pas supporter : qu’il rencontre ou non, avant de mourir, ce qui va le briser, c’est affaire de chance au moins autant que de mérite. Les héros le savent, quand ils sont lucides : c’est ce qui les rend humbles, vis-à-vis d’eux-mêmes, et miséricordieux, vis-à-vis des autres. Toutes les vertus se tiennent, et toutes tiennent au courage.

Source :
Petit traité des grandes vertus
André Comte-Sponville
© Point, 2014

Simone Mousset, artiste associée au Escher Theater

La chorégraphe Simone Mousset a accepté d’être la première artiste associée au Théâtre d’Esch. Au fil des trois prochaines saisons, le public pourra découvrir trois de ses spectacles (dont deux créations) mais aussi participer à plusieurs projets qui lui feront découvrir la danse contemporaine.

« Je trouve chouette de voir la dynamique et les nouvelles idées qui soufflent sur le Théâtre d’Esch. Cela me motive d’être de la partie. Et puis, le courant passe bien avec la directrice Carole Lorang », confie la jeune femme qui est née à Canach mais qui a aussi des origines dans le sud du pays. « La Maison Mousset vient du côté de mon grand-père », dit-elle quand on l’interroge sur son lien avec la ville.
Mais est-ce bien vrai ? Après tout, Simone Mousset a inventé l’histoire de la création du premier Ballet national folklorique du Luxembourg par les sœurs Bal dans les années 60. Son spectacle documentaire, intitulé «Bal», était tellement bien conçu qu’il était difficile de ne pas tomber dans le panneau ! Derrière cette mystification, elle voulait soulever la question du Nation Branding. Cette première pièce d’envergure lui a valu d’être la lauréate du Lëtzebuerger Danzpräis en 2017. Elle sera recréée à Esch en 2020. On est curieux de voir le résultat, sachant que désormais le public sait à quoi s’en tenir.
Simone Mousset aime jouer avec le public pour l’emmener là où il ne pensait pas aller. La danse est pour elle « une manière de construire des mondes imaginaires qui questionnent notre rôle dans le monde d’aujourd’hui, en tant qu’individu et société ». Comme ingrédients pour pimenter ses spectacles, elle se sert de l’humour, du bizarre, du surréel. Une tambouille très personnelle aux saveurs surprenantes, teintées de folklore et ramenées des nombreux pays où elle a vécu.

À 30 ans, elle vit « comme une tzigane » avec son mari qu’elle a connu en Sibérie et ses deux petits enfants qui ont déjà bien exploré la planète. C’est à Londres que l’artiste s’est formée à la danse classique et contemporaine (Laban, Royal Academy of Dance, London Contemporary Dance School/EDge) avant de travailler pour des compagnies en Angleterre, Russie, Liban, Allemagne, et Luxembourg. En 2014, elle a créé au Luxembourg « Their Past », une pièce qui fait dialoguer la danse contemporaine et le folklore. Puis il y a eu « Impressing the Grand Duke » en 2016, dans laquelle elle s’affirme comme artiste « émergente ». Avant la consécration de Bal en 2017. The Passion of Andrea 2, spectacle né lors de sa participation au TalentLAB au Grand Théâtre de Luxembourg en 2016, s’annonce pour cet automne.
Simone Mousset est pédagogue de danse qualifiée et se dit curieuse de réfléchir à une manière de faire découvrir la danse contemporaine au public de manière « sympa et amusante ». Comment ? Elle cogite encore… laissons-nous donc surprendre !
Son association avec le Théâtre d’Esch va lui donner l’occasion de passer un peu plus de temps au Luxembourg, même si cela ne l’empêchera pas de continuer à sillonner le monde. Entre autres, elle contribue au programme culturel du pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle de Dubaï en 2020.

De la définition (simple) de l’humour

Une forme de comique, mais qui fait rire surtout de ce qui n’est pas drôle. Par exemple, ce condamné à mort qu’évoque Freud, qu’on mène un lundi à l’échafaud : « Voilà une semaine qui commence bien ! », murmure-t‑il. Ou Woody Allen : « Non seulement Dieu n’existe pas, mais essayez de trouver un plombier pendant le week-end ! » Ou encore Pierre Desproges annonçant sa maladie au public : « Plus cancéreux que moi, tu meurs ! » Cela suppose un travail, une élaboration, une création. Ce n’est pas le réel qui est drôle, mais ce qu’on en dit. Non son sens, mais son interprétation – ou son non-sens. Non le plaisir qu’il nous offre, mais celui que nous prenons à constater qu’il n’en propose aucun qui puisse nous satisfaire. Conduite de deuil : nous cherchons un sens ; nous constatons qu’il fait défaut ou se détruit ; nous rions de notre propre déconfiture. Et cela fait comme un triomphe pourtant de l’esprit.

L’humour se distingue de l’ironie par la réflexivité ou l’universalité. L’ironiste rit des autres. L’humoriste, de soi ou de tout. Il s’inclut dans le rire qu’il suscite. C’est pourquoi il nous fait du bien, en mettant l’ego à distance. L’ironie méprise, exclut, condamne ; l’humour pardonne ou comprend. L’ironie blesse ; l’humour soigne ou apaise.

« L’humour, disait Boris Vian, est la politesse du désespoir. » C’est qu’il évite d’en incommoder les autres. Il y a du tragique dans l’humour ; mais c’est un tragique qui refuse de se prendre au sérieux. Il travaille sur nos espérances, pour en marquer la limite ; sur nos déceptions, pour en rire ; sur nos angoisses, pour les surmonter. « Ce n’est pas que j’aie peur de la mort, explique par exemple Woody Allen, mais je préférerais être ailleurs quand cela se produira. » Défense dérisoire ? Sans doute. Mais qui s’avoue telle, et qui indique assez, contre la mort, qu’elles le sont toutes. Si les fidèles avaient le sens de l’humour, que resterait-il de la religion ?

Source :
Dictionnaire philosophique
André Comte-Sponville
© Éditions PUF, 2013

Edito – Carole Lorang, Intendantin am Escher Theater

Zeitgenössisches Theater muss Zeuge unserer Realitäten sein, ein Zeuge, der zugleich kritisch und erfinderisch ist.

Der rote Faden unserer ersten Spielzeit ist der Mut in all seinen Formen. Er zieht sich sowohl durch das Programm für Erwachsene als auch durch die Vorstellungen für das junge Publikum. Eines der Schlüsselthemen wird insbesondere der Mut von Frauen sein – Mut, der oft diskret und mitunter nicht sichtbar ist, der sich aber unerschütterlich und ausdauernd zeigen kann. Außerdem wird auch der verzweifelte Mut von Menschen thematisiert, die sich unaufhörlich wagen, ihren Ängsten entgegenzutreten. Sie werden legendären Figuren – fiktionalen oder historischen – wie Madame Bovary, Carmen, Don Quijote und Scapin oder Hannah Arendt begegnen, wobei jede dieser Figuren eine neue künstlerische Bearbeitung erfährt.

Für mich ist das Theater nicht nur ein Ort der ästhetischen Begeisterung, sondern auch ein ausgezeichnetes soziokulturelles Instrument, das uns dazu dient, unser eigenes Leben zu hinterfragen, indem es uns mit dem Unbekannten konfrontiert und uns gleichzeitig ermöglicht, unseren Horizont zu erweitern und uns im Kontakt mit anderen Realitäten in einem gewissen Maße neu zu erfinden. Aus diesem Grund spielt auch das dokumentarische Theater in meiner Programmplanung eine wichtige Rolle. Es handelt sich wirklich um ein Theater, das seine Inspirationen aus dem „wahren Leben“ zieht, um dieses zu einem eigenständigen künstlerischen Werk umzuwandeln. Wir zeigen Vorstellungen, die sich mit Autismus, der Situation von Grenzgängern, Fake News, Sexualität oder auch Fanatismus beschäftigen.

Schließlich – und das ist für mich vielleicht der wichtigste Aspekt – bin ich Verfechterin des Humors in all seinen Formen, und zwar ganz einfach als eine mutige Haltung gegenüber der Existenz, wie eine geistige Einstellung. Wenn ich von Humor spreche, denke ich an absurde, ungewöhnliche Darbietungen voller Spötteleien, Stücke, in denen mit Ironie und Hintersinnigkeit und sogar sonderbaren, unkonventionellen Elementen gespielt wird. Ich freue mich, Kunstschaffende und Künstlergruppen vorzustellen, die sich nicht so ernst nehmen und Selbstironie pflegen. Ich denke, dass man mit einer Haltung, die ein wohlwollendes Lachen zulässt, wahrscheinlich die Distanz schafft, die erforderlich ist, um die richtige Mischung aus Reflexion und Empfinden zu erreichen.

Barrierefreiheitsfunktionen

Schriftgröße
100 %
Zoomen
100%