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Entretien avec Renelde Pierlot

Pas un pour me dire merci suit l’histoire d’une famille – une mère, un père, trois enfants – qui évoluent face aux troubles psychotiques de la mère, ancrés au coeur de leurs vies, sur une durée de quarante ans. Un spectacle s’inspirant de rencontres que la metteuse en scène Renelde Pierlot et l’auteur Jean Bürlesk ont faites avec de nombreuses personnes touchées de près ou de loin par la maladie.

Quelle a été la genèse de ce projet ?
Tout est parti d’une idée de l’auteur Jean Bürlesk – son frère, ndlr – qui voulait écrire une pièce de théâtre. Il a fait une demande de bourse pour laquelle il devait trouver l’accompagnement d’un théâtre. Il a donc rencontré Carole Lorang – directrice artistique de l’Escher Theater – qui l’a soutenu dans ce projet. Plus tard, Carole est venue me voir pour me demander si je voulais mettre en scène cette pièce. J’ai hésité, car c’est toujours particulier de travailler avec quelqu’un de sa famille. J’ai finalement accepté, séduite par la qualité de l’écriture de mon frère. De là est née une collaboration artistique fructueuse, rapidement rejointe par Francesco Mormino, qui a également participé à l’écriture de la pièce. L’histoire s’est progressivement centrée autour d’une famille dont la mère est atteinte d’une maladie mentale, qui affecte le cocon familial. C’est une histoire dans laquelle on voit évoluer tous les membres de la famille, chacun grandissant et se construisant autour de la maladie de leur maman.

Qu’en est-il de la partition textuelle à la base de la pièce ?
On a rencontré de nombreuses personnes, des associations comme l’AFPL (Association des Familles ayant un proche atteint de Psychose au Luxembourg asbl), Réseau Psy – le Centre KanEl, des membres du service SPAD (Soins psychiatriques à domicile). On a rencontré des psychiatres, des personnes atteintes de psychoses, des parents qui ont des enfants psychotiques, des enfants dont les parents sont psychotiques, … On a récolté de nombreux témoignages et on a écrit ce texte à trois têtes et à quatre mains (celles de Jean et de Francesco Mormino, qui joue dans la pièce).

Comment traduire théâtralement la maladie mentale ?
Cette mise en scène s’inscrit dans une tradition importante du théâtre européen, celui-ci étant peuplé de personnages en proie à la folie. (Je pense par exemple aux tragédies grecques, au théâtre shakespearien…). Le défi pour moi était de trouver le juste équilibre entre réalisme et abstraction, le réalisme permettant de faire voir la « folie », et l’abstraction de rendre le sujet plus universel. J’ai cherché à créer des images qui fonctionnent à plusieurs niveaux. La mère porte une robe surdimensionnée qui envahit l’espace commun, donnant au père et aux enfants le sentiment de ne pas avoir de place, d’être pris dans la robe de la mère – et à la mère celui de constamment se faire marcher dessus. Il était important pour moi de ne pas prendre parti pour la perspective de l’un ou de l’autre, mais de laisser de la place au ressenti des différents personnages.

En quoi est-ce important de donner la parole aux personnes connaissant ces souffrances psychiques ?
De ces rencontres avec toutes ces personnes, pour moi, cette pièce est devenue une nécessité. La plupart des psychoses se déclenchent à l’adolescence, et malheureusement, on n’en parle peu ou pas dans les écoles et dans les lycées. Une personne sur quatre souffre de troubles mentaux ou neurologiques à un moment ou l’autre de sa vie. Nombreux sont ceux qui ont un lien avec quelqu’un atteint d’une maladie mentale, parfois sans le savoir.

Calimero – Interview avec les comédiens du collectif Transquinquennal

« Toute vérité est bonne à dire, paraît-il… mais à entendre ? », lancent Bernard Breuse, Miguel Decleire et Stéphane Olivier, de la compagnie bruxelloise Transquinquennal. Si Calimero questionne la domination masculine, blanche, hétéronormée, ce qu’il interroge plus largement, c’est notre capacité à changer le monde, mais plus encore notre « volonté » à le faire.

Quelle est l’origine du spectacle ?
Bernard Breuse : Ces dernières années, notre réflexion porte sur le changement, notamment de notre activité et la volonté de Transquinquennal de s’arrêter dans 4 ans. Ce n’est pas une défaite pour nous, mais plutôt un acte positif. Nous avons décidé d’appliquer cette pensée aux spectacles et thèmes que nous abordons, mais aussi à ce que nous sommes, c’est-à-dire trois hommes de plus de 50 ans, blancs et hétérosexuels.
Stéphane Olivier : Depuis 30 ans, c’est-à-dire les débuts de Transquinquennal, il y a un discours constant autour de nous qui dit que les choses ne vont pas et empirent. Pourquoi rien ne change alors que tout le monde veut que ça change ? Il était temps que nous nous regardions en face : qu’est-ce que
nous faisons pour que ça change ? Est-ce que nous-mêmes nous changeons ? Si, d’un point de vue utopique, notre objectif est de donner aux spectateurs, lors d’une représentation, l’opportunité d’expérimenter un changement de perspective, de pensée ou de point de vue, est-ce que cet objectif peut marcher si nous-mêmes nous ne changeons pas ?
B.B. : De notre point de vue, nous sommes les bons. Nous sommes des personnes qui pensent bien, réfléchissent, ont une pensée progressiste… Nous sommes accueillants, ouverts, généreux… Mais cette pensée ne traduit-elle pas clairement une position de domination ? Si nous pensons de telle manière, qu’est-ce que nous pourrions changer ?
Miguel Decleire : Nous avons l’impression de faire de notre mieux. Nous ne nous rendons pas compte de tout ce qui nous échappe, y compris des dominations que nous exerçons ou dont nous profitons sans nous en rendre compte.

Pour Calimero, vous aviez envie de confronter vos points de vue à ceux d’autres personnes „pas comme vous“ ?
S.O. : Oui, nous sommes allés chercher des personnes qui avaient d’autres points de vue sur notre position. Nous les avons nommés les inquisiteur.trice.s Il s’agissait de nous confronter avec des potentiels contradicteurs et de faire connaissance, d’une certaine manière, avec notre ennemi.
B.B. : Nous voulions surtout prendre des gens qui n’étaient pas nous, c’est-à-dire des gens de moins de 50 ans, pas blancs ou hétérosexuels. Laura Vauquois, qui travaille à la dramaturgie du spectacle, a coordonné ces entretiens et nous a fait rencontrer des experts, des militant.e.s qui travaillent sur des questions de rapport de pouvoir et de domination et qui font partie d’un ou plusieurs groupes de dominé.e.s. Il y a différents profils au sein de ce panel : certaines personnes se positionnent davantage sur la lutte antiraciste, d’autres sur des questions d’hétéro-normativité, d’autres encore sur les
discriminations femmes-hommes. Il était important d’avoir entre nous une diversité de points de vue.

Ces entretiens ont-ils provoqué des remises en question ?
B.B. : Chacun à sa propre échelle, oui. Mais le degré de résilience de chacun est terrible. On oublie très vite, même les choses graves.
S.O. : Dans ce processus, il y a une mise en accusation de l’homme blanc qui pose question et un discours sur cette mise en accusation. Tout le monde est libre de s’exprimer, mais la question de la loi est essentielle. C’est bien de vociférer, mais il faut passer à quelque chose de factuel. C’est ça que nous
allons aborder dans le spectacle : y a-t-il des faits objectifs sur cette question de domination qui peuvent être attribués au masculinisme ? En tant qu’hommes de gauche, progressistes, nous sommes tout à fait d’accord pour dire que la société libérale et capitaliste actuelle est une société d’oppression. Mais qu’est-ce qui est prédominant ? L’incarnation de la domination dans un genre, une couleur de peau, un âge, une position sociale ou sexuelle, ou est-ce que c’est plutôt un système de la société ? Je pense que c’est plus complexe que le discours ambiant.

Allez-vous tout de même jouer avec les clichés qui collent à la peau des mecs blancs hétéros de plus de 50 ans ?
B.B. : Il y aura quelques représentations de ces clichés. Mais le danger, que nous voulons éviter au maximum, est d’être caricatural. Si nous sommes caricaturaux, nous bottons en touche d’une certaine manière. Nous voulons être plus fins.
S.O. : Il y a deux endroits de réflexion : il y a la question du rôle que l’on fait jouer, dans la société, à l’homme blanc dit dominant – ce rôle lui est attribué par le système. Puis, il y a la question du vrai „nous“, qui nous sommes réellement. Ce vrai „nous“ n’a souvent rien avoir avec le rôle social. Nous souhaitons donner à voir l’homme dans son intimité, l’homme seul, à l’abri du regard, non pris dans la charge sociale. En tant qu’hommes, nous sentons très fortement le fait qu’on nous impose un rôle.

Dernière question : y a-t-il des choses qui vous irritent particulièrement ?
M.D. : Je n’aime pas qu’on attende des choses de moi qui sont contraires à ce que je suis réellement.
S.O. : Je défends totalement l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais je remarque que malgré que j’affirme cela publiquement, il y a très peu de femmes qui m’invitent à boire un café. Cette égalité est-elle donc possible ?
B.B. : Ce qui m’irrite, c’est le peu de choses que j’arrive à faire par rapport aux ambitions que j’ai. Le fossé entre ce que tu proclames et ce que tu fais est terrible. Nous avons très peu d’objectivité sur nous-mêmes. Mais ça ne tue pas pour autant ma bonne humeur.

Propos recueillis par Emilie Gäbele, responsable de la communication du Théâtre Les Tanneurs, le 16 janvier 2019.

« Frusques », une création chorégraphique pour tous.

Après plus d’une cinquantaine de dates aux succès unanimes, la Cie ACT2 pose ses valises pleines de frusques au Théâtre d’Esch pour présenter deux dates d’un spectacle « jeune public » qu’il faudrait appeler un « spectacle pour tous », dans le respect des pensées de la compagnie.

Dans Frusques, le spectateur est face à un monde déserté, où gisent des tas de fringues, fripes, sapes de secondes mains, de « vieux habits », à proprement parler, des frusques, sans aller plus loin. Là, sur une scène bariolée par ces vêtements en tous genres et couleurs, quatre personnages, s’éveillent, comme perdus au milieu de cet amas, dans ce monde qu’il ne semble pas connaitre.
C’est d’un monde révolu dont parle la chorégraphe, prenant ces habits pour symbole de vies éteintes, oubliées ou perdues. Ces morceaux d’intimité – de ce que l’adulte comprendra comme les restes d’une société consommatrice à outrance – deviennent vite des trésors à découvrir, vêtir, vivre, inventer. Petit à petit, en manipulant ces frusques, ce que convoque le quatuor relève d’histoires fantastiques ou rêvées.

Et de vêtement en vêtement s’empilant, de ces frusques s’entassant, les danseurs construisent des univers distincts, formant et déformant l’espace comme un enfant ferait une cabane avec des draps. Mais si le jeu d’enfant domine, pour y imprégner la poésie qui nous fera entrer dans le spectacle, ce sont aussi les maniaqueries des adultes qui s’affirment, celle du rangement, de la hantise du désordre, de l’individualité… Pourtant, toujours, quelqu’un rattrape l’autre à l’invention, et c’est beau, un enchantement, du spectacle « vivant », pour ne pas dire mieux.

En explorant l’enfant et son rapport à l’autre, changeant de par la diversité de nos personnalités, Catherine Dreyfus, par son langage onirique, livre un spectacle aux traits caractéristiques du conte, d’une poésie sublime et dont la morale dépasse largement l’infantile. D’un questionnement sur l’individus, et sa place au sein du collectif, Dreyfus met en scène les aléas de ce fameux « vivre ensemble ». De la scène, par les corps, et via la sagacité visuelle qu’elle fait vivre dans Frusques, la Cie ACT2 invite magnifiquement à questionner notre monde, rappelant aussi la responsabilité particulière qu’il adjoint à l’artiste face aux jeunes spectateurs.

Mettre en lumière ces frontalières invisibles

« Les Frontalières » est un projet de théâtre documentaire sur les frontalières du Luxembourg, adapté suite aux aléas de la pandémie de Covid-19 sous forme de spectacle sonore diffusé au printemps par podcasts. À la faveur de la réouverture des lieux culturels luxembourgeois, une version scénique de cette création radiophonique aura lieu le 31 janvier 2021 au Escher Theater. La metteure en scène Sophie Langevin en dit quelques mots.

Quelle a été la genèse de ce projet ?
Je vis dans la capitale du Luxembourg, je prends la route souvent au matin et croise cette file ininterrompue de voitures tel un serpent lumineux, avec au volant des personnes le plus souvent seules, qui viennent travailler dans un autre pays que le leur. Le Luxembourg a cette particularité unique au monde de voir près de la moitié de sa population active venir de l’étranger. Une foule de personnes qui traversent les frontières chaque jour, donnent leur force de travail, leur énergie et qui rentrent en fin de journée par le même chemin emprunté au petit jour pour revenir dans leur autre monde. Je me posais beaucoup de questions sur ces « vies transfrontalières ».

Pourquoi les frontalières ?
La question des frontaliers est un sujet peu mis au jour dans l’espace public et quand il l’est, il est associé quasi exclusivement aux problèmes de mobilité ; ce qui, en soit, en dit long sur le rapport que notre pays entretient avec ces hommes et ces femmes qui représentent près de la moitié des travailleurs œuvrant au développement du pays. Cette position de « passagère / frontalière » fait que ces femmes ne sont donc pas pleinement inscrites dans la société dans laquelle elles travaillent. Elles n’ont pas droit de cité. Elles pourraient sembler hors sol. Elles semblent invisibles. Je souhaite donc les mettre en lumière : explorer comment elles vivent cette vie en abordant les questions de la gestion de la vie de famille, de leur sentiment d’appartenance au Luxembourg, du rapport qu’elles entretiennent ou non avec les résidents luxembourgeois.

Après plus d’un an, comment a évolué ta recherche ?
Au départ, j’ai essayé de me demander s’il y avait une identité frontalière. La question de l’identité m’alerte moi-même quotidiennement, en tant que personne étrangère dans un pays qui accueille des personnes de mon pays d’origine dans lequel je n’ai jamais vécu… C’était vraiment l’une des questions de départ et à travers toutes les interviews que j’ai pu mener, c’est une question qui reste encore entière. Je ne sais pas s’il y a une identité frontalière, en tout cas, c’est une identité partagée entre le chez soi et le lieu du travail, entre deux cultures. Il s’agit véritablement de répondre à cette question liée à l’identité, parce que je pense que tant que nous n’aurons pas défini d’objectifs et de désirs communs, cette identité ne pourra pas se construire.

Julia Vidit propose un spectacle aux atours contemporains d’une comédie de Corneille.

Ce n’est pas la plus connue, ni la plus représentée, des pièces de Corneille, alors qu’elle a rencontré un beau succès à sa création. Le Menteur, comédie baroque en vers, a pour personnage principal un jeune étudiant qui débarque de Poitiers à Paris et compte bien conquérir la capitale et ses femmes. Ce Dorante, plus tchatcheur, comme on dit aujourd’hui, qu’hypocrite, va cependant s’enferrer dans une intrigue sentimentale où ses mensonges se retournent contre lui et son amour, qu’on peut supposer sincère, pour une jeune femme nommée Clarice. S’y croisent des thématiques qui vont fleurir après Corneille, avec Molière et Marivaux notamment : les amours contraintes des jeunes filles, le pouvoir que confèrent l’argent ou la position sociale, et, bien entendu, la tentation du mensonge. On y retrouve également quelques figures théâtrales typiques, dont celle, toujours comique, du Matamore, et même un passage parodié du Cid.

Mêler les époques et les univers

Julia Vidit, metteuse en scène qui a fait ses classes de comédienne au Conservatoire, connaît ses classiques et sait combien ils peuvent encore nous parler. Pour rendre Le Menteur encore plus éloquent aux oreilles d’aujourd’hui, elle en a légèrement retouché le texte – mais toujours respecté le vers – avec Guillaume Cayet. Surtout, elle a choisi une distribution et une mise en jeu qui rompent avec le côté policé bien blanc du théâtre hexagonal. De plus, ici, les hommes portent des baskets et des peignoirs de boxeurs qui vont au ring et les filles des robes à frou-frou fluo tout droit sorties des années 80. La scène est occupée par un large panneau modulable composé de douze miroirs qui évolue tout au long de la pièce, servant tantôt de palissade, de ceinture ou, bien sûr, à faire miroiter les rêves. L’entreprise d’actualisation en mode urbain menée par Julia Vidit est assez osée et trouve une forme métaphorique dans la musique baroque teintée d’électro qui ouvre le spectacle. Il s’agit ici de mêler les époques et les univers et de donner à réfléchir sur l’usage du mensonge dans une société contemporaine qui ne jure que par l’image. C’est d’ailleurs sans doute dans cette dimension que le spectacle fonctionne le mieux. Car l’intrigue et ses rebondissements laissent plutôt indifférent, et la langue de Corneille concourt à entretenir une certaine distance. Dans sa partie finale, quand les choix de mise en scène prennent du sens, que le propos – sur les femmes notamment – sonne et résonne, l’audace de Julia Vidit saute aux yeux et prend tout son éclat.

Article d’Éric Demey paru dans le Journal La Terrasse

Interview de Charles Tordjman, metteur en scène du spectacle « La plus précieuse des marchandises », le 12 et 13 janvier au Escher Theater

Quelle a été votre réaction, vous qui connaissez si bien Jean-Claude Grumberg, à la première lecture de ce texte ?
Lorsque j’ai commencé à lire «La plus précieuse des marchandises», c’était dans un autobus. Jean-Claude venait de me donner un exemplaire du livre sorti tout chaud de l’imprimerie des éditions du Seuil. J’ai ouvert négligemment le livre en me promettant de le lire chez moi. Allez savoir pourquoi, j’ai commencé les premières lignes, puis fini la première page et la seconde et ainsi de suite. Au bout de 50 minutes, une main est venue tapoter mon épaule. C’était le chauffeur de l’autobus qui m’avertissait avec douceur que nous étions arrivés au terminus. J’avais juste fini la lecture. J’étais bouleversé. (…)

Pour vous, s’agit-il d’un conte, d’une fable, d’un poème ?
(…) Il s’agit bien d’un conte, puisqu’il y a une bûcheronne et un bûcheron affamés, vivant dans une sombre forêt, entourés de personnages hostiles, il y a la terreur d’un train dont on ne sait d’où il vient, ni où il va semant des messages sur son passage… Mais le conte rend pourtant compte de faits réels, de personnages réels, d’une catastrophe réelle. Non, la réalité n’existe pas, nous dit Jean-Claude, cela n’existe pas, c’est une fiction. Et c’est cela qui nous bouleverse, cette façon de refouler l’histoire. Et ce refoulement, ce déni, nous serre la gorge parce que nous savons.

Comment représenterez-vous les lieux du conte ? La forêt, le train, la cabane des bûcherons ? La neige ?
Il n’y aura ni vraie forêt, ni vrai train, ni cabane. Ce qui demeurera, c’est la peur, la terreur même. Je sais que le père de Jean-Claude, mort à Auschwitz, était tailleur, et qu’avant d’être Grumberg, Jean-Claude aussi était tailleur. Dans un espace faisant allusion à une architecture industrielle délaissée, nous poserons quelques machines à coudre musicales, qui a elles seules diront les peurs soudaines d’un train traversant une forêt, ou les violences exercées sur des corps.

Travaillez-vous avec Grumberg à l’adaptation du texte ?
Jean-Claude m’a laissé libre d’adapter comme je le voulais son récit. Mais comme ce récit est un conte, il lui ira bien d’être conté comme on le fait à des enfants en n’omettant rien de sa capacité à faire sourire, à faire peur, à hausser la voix, à chuchoter… (…) Et comme l’histoire est effrayante, nous convoquerons les ombres, les sons aigus, les frayeurs, tout en sachant que nous pouvons nous faire plaisir dans l’exercice, puisque Jean-Claude nous dit que rien n’est vrai de tout cela.

Propos recueillis par Pierre Notte

 

 

„Monsieur X“ de Mathilda May avec Pierre Richard

Pierre Richard endosse le rôle de Monsieur X dans un spectacle conçu pour lui par Mathilda May. Dans la lignée de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin, le comédien renoue avec un genre qu’il affectionne particulièrement : le burlesque sans paroles.

Comment est né ce « solo visuel » écrit pour vous par Mathilda May ?
Pierre Richard : Nous ne nous connaissions pas. Je suis allé voir ses deux spectacles et je lui ai dit tout le bien que j’en pensais. Son univers est un peu le mien, évidemment. Peut-être un mois après, elle m’a appelé, nous avons pris un verre ensemble et elle m’a exprimé son envie de faire un spectacle avec moi. Au début, j’ai cru qu’elle voulait m’inclure dans sa compagnie mais elle a précisé que je serais seul en scène dans un spectacle écrit et mis en scène par elle. La dizaine de pages qu’elle m’a fait lire m’ont tout de suite séduit. J’ai dit oui, c’était une évidence.

Qui est ce Monsieur X que vous interprétez ?
P.R. : C’est un personnage qui vit tout seul dans son appartement, une grande pièce où il n’est finalement pas si seul que cela. Il est en contact permanent avec ses objets qui sont des amis ou des ennemis, non pas indomptables mais avec qui il se querelle. Et il est en contact avec le tableau qu’il peint : une dame dans une forêt. Cette dame est au fond sa créature, sa compagne – picturale, certes mais quand même. Le spectacle est ainsi fait des petites choses du quotidien qui prennent parfois tout à coup des envolées complètement surréalistes. On passe souvent de la réalité au rêve.

Comment aborde-t-on un rôle muet ? Est-ce que tout était déjà écrit par Mathilda May ?
P.R. : Oui même si depuis que les répétitions ont commencé, nous ne nous interdisons pas de rebondir sur l’écriture si nous trouvons plus drôle ou plus émouvant. Ce sont les actions qui sont écrites, je n’ai pas à me souvenir du texte mais de ce que je fais et surtout de comment je vais le faire. Cela pose souvent de réels problèmes mais j’ai toujours été beaucoup plus proche de la gestuelle que du texte. Dans mes premiers films, qui étaient burlesques, si j’ai ajouté des paroles, c’est parce que je ne pouvais pas faire au XXe siècle les films muets de Chaplin ou Keaton. Il n’en reste pas moins que j’ai toujours eu tendance à raconter une histoire avec ma propre gestuelle, qui est très personnelle, plutôt qu’avec des dialogues. On peut très bien exprimer les choses avec ses yeux, ses jambes, ses bras, sans avoir à parler. De ce point de vue, nous sommes totalement complémentaires avec Mathilda May.

Est-ce dû à des filiations communes ?
P.R. : Probablement. La première fois que je l’ai rencontrée, après Open Space, elle m’a dit : « Il y a trois personnes qui m’ont inspirée : Chaplin, Tati et vous ! » Le compliment n’était pas mince. Elle a les mêmes inspirations, les mêmes goûts que moi pour le burlesque ou le burlesque poétique.

Propos recueillis par Isabelle Stibbe, Article du Journal La Terrasse

François Morel jongle avec les mots de Raymond Devos

Avec « J’ai des doutes », l’imaginatif fantaisiste propose un hommage musical et tendre au maître de l’absurde, le 22 octobre au Escher Theater.

« Raymond Devos, Mesdames et Messieurs, est un miracle qui est apparu, singulier, sur la scène du music-hall français. Il ne ressemblait à personne. Personne, plus jamais, ne lui ressemblera. C’est comme ça. Il faut se faire une raison. Même si on n’est pas obligé… de se faire une raison. Il est plus opportun en évoquant Devos de se faire une folie. Un grain de folie capable d’enrayer la mécanique bien huilée de la logique, de la réalité, du quotidien ! Ceux qui l’ont vu s’en souviennent : Raymond Devos fut un phénomène rare. Comme les arcs-en-ciel de feu circulaire, comme les colonnes de lumière, comme les vents d’incendie, comme les nuages lenticulaires, il a surgi, miraculeux et mystérieux, derrière un rideau rouge qui s’ouvrait sur l’imaginaire. On n’avait jamais vu ça ! Et, devant cet homme en apesanteur, on avait le souffle coupé. » François Morel

 

Den Escher Theater well nees politesche Cabaret op der Bün.

E Comptoir, e méi oder manner gutt gelaunte Wiert, an déi ënnerschiddlechst Clienten déi sech iwwer Gott, d’Regierung an d’Welt opreegen – dat alles op der Escher Bün.

„Si mer nach ze retten?“ froen sech de Claude Faber, de Roll Gelhausen, de Francis Kirps, d’Christiane Kremer, de Clod Thomes, de Pit Puth an de Jay Schiltz an dësem labbere Cabaretsowend, an déi Fro geet wäit iwwer de Covid-19 eraus. Si betrëfft déi ganz Mënschheet, déi hir Liewensanerweis an hier Konsumgewunnechte misste radikal veränneren, fir d’Klimakris an de Grëff ze kréien. Si betrëfft eise Mateneen, deen dacks duerch Frust an Abgaascht verpescht gëtt an esou déi fundamental Empathie mam Aneren – dem Frontalier, dem Flüchtlingen, dem Netlëtzebuerger – futti mécht.

D’Direktesch Carole Lorang huet dësem ekleteschen Ensembel vun Auteuren (an enger Autesch) a SchauspillerInnen den Optrag ginn, sech reegelméisseg mat Lëtzebuerg an de Lëtzebuerger ofzeginn. An esou geet et, mat engem Glas Riesling oder engem Béier an der Hand, ëm Klimaplang a Päischtcroisière, politesch Korrektheet an Immigratiounspolitik, em Suffragetten a Majoretten, em gratis Transport, Fridays for future, Logementspräisser a Gaardenhaisercher, Biobuttek a Konsumgesellschaft, Toilettëpabeier an E-Zigaretten. „Si mer nach ze retten?“ froe si. An äntwerten enner aanerem: „Du kanns net dem Thermometer d’Schold gi wann s de Féiwer hues!“

 

Un spectacle de danse explosif et poétique pour ouvrir la saison du Escher Theater.

A ceux qui pensaient le hip-hop comme une mode passagère, appelé à disparaître du paysage chorégraphique dès que les banlieusards auraient rangé leurs cartons, Roots, la récente pièce de Kader Attou, directeur depuis 2008 du Centre chorégraphique national (CCN) de La Rochelle, offre une leçon de ténacité. Et fait le tour de la question. Même dans ses premiers spectacles, plus fragiles, on reconnaissait de suite chez le chorégraphe un sens de la composition et surtout une manière de mettre en relation les danseurs dans un espace de complicité, de recueillement. Les onze qui portent Roots, plus Kader Attou, forment une sorte de chorale d’où émergent des individus, tous aussi intéressants les uns que les autres, car chacun a son style, son physique, ses particularités techniques. Tous, ici, signent leur propre hip-hop et la pièce, pleine de surprises, pourrait s’achever par un free style plus débridé encore. Et sinon, que du bonheur.

Les tableaux astucieusement fabriqués, comme celui d’un radeau de la méduse, qui tiennent parfois sur une jambe, une seule main, sont si élégants qu’ils viennent justement rappeler que le hip-hop n’est pas que question de musculature mais surtout d’équilibre. Tout est raffiné, des touchers à un solo d’ouverture nostalgique dans un fauteuil bancal, d’un morceau de claquettes aérien sur une table à des scorpions tressautants… Les figures de base, que Kader Attou n’a pas fait disparaître de son vocabulaire, mais qu’il lie dans une syntaxe parfaite, retrouvent toute leur vigueur. Roots n’est pas une pièce nostalgique mais une danse pour demain, où les rapports entre hommes (car le spectacle est uniquement masculin) trouvent une nouvelle nature, une façon d’être ensemble sans se faire mal et, si possible, en s’amusant. Le chorégraphe se joue aussi de lui-même en s’autocitant avec beaucoup d’humour. Roots est un vrai show, sans esbroufe. Le public est debout. Pas étonnant que ledit show parte en tournée de 90 dates..

Article de Marie-Christine Vernay, paru dans Libération le 27 septembre 2013

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