Calimero – Interview avec les comédiens du collectif Transquinquennal

« Toute vérité est bonne à dire, paraît-il… mais à entendre ? », lancent Bernard Breuse, Miguel Decleire et Stéphane Olivier, de la compagnie bruxelloise Transquinquennal. Si Calimero questionne la domination masculine, blanche, hétéronormée, ce qu’il interroge plus largement, c’est notre capacité à changer le monde, mais plus encore notre « volonté » à le faire.

Quelle est l’origine du spectacle ?
Bernard Breuse : Ces dernières années, notre réflexion porte sur le changement, notamment de notre activité et la volonté de Transquinquennal de s’arrêter dans 4 ans. Ce n’est pas une défaite pour nous, mais plutôt un acte positif. Nous avons décidé d’appliquer cette pensée aux spectacles et thèmes que nous abordons, mais aussi à ce que nous sommes, c’est-à-dire trois hommes de plus de 50 ans, blancs et hétérosexuels.
Stéphane Olivier : Depuis 30 ans, c’est-à-dire les débuts de Transquinquennal, il y a un discours constant autour de nous qui dit que les choses ne vont pas et empirent. Pourquoi rien ne change alors que tout le monde veut que ça change ? Il était temps que nous nous regardions en face : qu’est-ce que
nous faisons pour que ça change ? Est-ce que nous-mêmes nous changeons ? Si, d’un point de vue utopique, notre objectif est de donner aux spectateurs, lors d’une représentation, l’opportunité d’expérimenter un changement de perspective, de pensée ou de point de vue, est-ce que cet objectif peut marcher si nous-mêmes nous ne changeons pas ?
B.B. : De notre point de vue, nous sommes les bons. Nous sommes des personnes qui pensent bien, réfléchissent, ont une pensée progressiste… Nous sommes accueillants, ouverts, généreux… Mais cette pensée ne traduit-elle pas clairement une position de domination ? Si nous pensons de telle manière, qu’est-ce que nous pourrions changer ?
Miguel Decleire : Nous avons l’impression de faire de notre mieux. Nous ne nous rendons pas compte de tout ce qui nous échappe, y compris des dominations que nous exerçons ou dont nous profitons sans nous en rendre compte.

Pour Calimero, vous aviez envie de confronter vos points de vue à ceux d’autres personnes “pas comme vous” ?
S.O. : Oui, nous sommes allés chercher des personnes qui avaient d’autres points de vue sur notre position. Nous les avons nommés les inquisiteur.trice.s Il s’agissait de nous confronter avec des potentiels contradicteurs et de faire connaissance, d’une certaine manière, avec notre ennemi.
B.B. : Nous voulions surtout prendre des gens qui n’étaient pas nous, c’est-à-dire des gens de moins de 50 ans, pas blancs ou hétérosexuels. Laura Vauquois, qui travaille à la dramaturgie du spectacle, a coordonné ces entretiens et nous a fait rencontrer des experts, des militant.e.s qui travaillent sur des questions de rapport de pouvoir et de domination et qui font partie d’un ou plusieurs groupes de dominé.e.s. Il y a différents profils au sein de ce panel : certaines personnes se positionnent davantage sur la lutte antiraciste, d’autres sur des questions d’hétéro-normativité, d’autres encore sur les
discriminations femmes-hommes. Il était important d’avoir entre nous une diversité de points de vue.

Ces entretiens ont-ils provoqué des remises en question ?
B.B. : Chacun à sa propre échelle, oui. Mais le degré de résilience de chacun est terrible. On oublie très vite, même les choses graves.
S.O. : Dans ce processus, il y a une mise en accusation de l’homme blanc qui pose question et un discours sur cette mise en accusation. Tout le monde est libre de s’exprimer, mais la question de la loi est essentielle. C’est bien de vociférer, mais il faut passer à quelque chose de factuel. C’est ça que nous
allons aborder dans le spectacle : y a-t-il des faits objectifs sur cette question de domination qui peuvent être attribués au masculinisme ? En tant qu’hommes de gauche, progressistes, nous sommes tout à fait d’accord pour dire que la société libérale et capitaliste actuelle est une société d’oppression. Mais qu’est-ce qui est prédominant ? L’incarnation de la domination dans un genre, une couleur de peau, un âge, une position sociale ou sexuelle, ou est-ce que c’est plutôt un système de la société ? Je pense que c’est plus complexe que le discours ambiant.

Allez-vous tout de même jouer avec les clichés qui collent à la peau des mecs blancs hétéros de plus de 50 ans ?
B.B. : Il y aura quelques représentations de ces clichés. Mais le danger, que nous voulons éviter au maximum, est d’être caricatural. Si nous sommes caricaturaux, nous bottons en touche d’une certaine manière. Nous voulons être plus fins.
S.O. : Il y a deux endroits de réflexion : il y a la question du rôle que l’on fait jouer, dans la société, à l’homme blanc dit dominant – ce rôle lui est attribué par le système. Puis, il y a la question du vrai “nous”, qui nous sommes réellement. Ce vrai “nous” n’a souvent rien avoir avec le rôle social. Nous souhaitons donner à voir l’homme dans son intimité, l’homme seul, à l’abri du regard, non pris dans la charge sociale. En tant qu’hommes, nous sentons très fortement le fait qu’on nous impose un rôle.

Dernière question : y a-t-il des choses qui vous irritent particulièrement ?
M.D. : Je n’aime pas qu’on attende des choses de moi qui sont contraires à ce que je suis réellement.
S.O. : Je défends totalement l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais je remarque que malgré que j’affirme cela publiquement, il y a très peu de femmes qui m’invitent à boire un café. Cette égalité est-elle donc possible ?
B.B. : Ce qui m’irrite, c’est le peu de choses que j’arrive à faire par rapport aux ambitions que j’ai. Le fossé entre ce que tu proclames et ce que tu fais est terrible. Nous avons très peu d’objectivité sur nous-mêmes. Mais ça ne tue pas pour autant ma bonne humeur.

Propos recueillis par Emilie Gäbele, responsable de la communication du Théâtre Les Tanneurs, le 16 janvier 2019.

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