3 questions autour de “Good Girls”

L’actrice, scénariste et réalisatrice luxembourgeoise Larisa Faber livre au Escher Theater une comédie musicale irrévérencieuse sur l’avortement, Good Girls, manifestant le droit des personnes à l’autonomie de leur corps. Une pièce très à propos et essentielle présentée dans le cadre d’Esch2022, couplée à la publication d’un recueil illustré en partenariat avec le Planning Familial.

Bonjour Larisa, tu es interprète, comédienne, performeuse, écrivaine, dramaturge, cinéaste, documentariste, metteure en scène… Autour de ces nombreuses fonctions que tu prends à bras le corps pour la déclinaison d’un travail artistique, comment définirais-tu ta pratique et, immergée personnellement dans ton processus créatif, comment te définirais-tu toi-même en parallèle à celle-ci ?

Je dirais que je suis actrice et scénariste/réalisatrice, même s’il m’a fallu du temps pour maîtriser les deux dernières professions. Je m’autoproduis aussi pour faire advenir mon propre travail, ce qui me prend un temps considérable. Ce travail est invisible et non rémunéré. Si vous êtes auto-producteur, vous finissez par faire de nombreux autres métiers : administrateur, comptable, relation presse, tour manager, directeur de production… En tant qu’actrice, je fais partie de l’imaginaire de quelqu’un d’autre. En tant que scénariste/réalisatrice, je fais le monde. C’est un processus différent, à la fois artistiquement et en termes de pratique. En tant qu’actrice, je me sens un peu plus protégée : je peux jouer dans le monde de quelqu’un d’autre. Si vous êtes la seule à inventer le monde et que vous ne trouvez pas votre public, c’est vraiment nul. Cela peut être un processus plus difficile, mais extrêmement gratifiant.

Inspirés de tes origines roumano-luxembourgeoises et de tes interrogations en tant qu’individu, comme de tes combats en tant que femme, tes écrits explorent le vieillissement, les choix reproductifs féminins et la migration. Alors que précédemment, ta pièce stak bollock naked évoquait déjà la condition de la femme face à son horloge biologique et sa capacité à « retrouver » l’appartenance de son corps, dans Good Girls tu déploie un nouveau volet de ce débat autour de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Peux-tu nous raconter la genèse de cette dernière création théâtrale ?

J’ai avorté et je me suis sentie soulagée. Ce qui a été traumatisant dans cette expérience, c’est le jugement que j’ai ressenti de la part de divers professionnels de la santé et la stigmatisation sociale qui isole les gens, pas la décision ou la procédure. Après mon expérience, j’ai pensé : maintenant je devrais ressentir des regrets. C’est ce que la société me dit. Que c’est un traumatisme. Je n’ai rien ressenti de tout cela. En grandissant, l’avortement n’a jamais été un sujet tabou car il faisait partie de la réalité vécue par de nombreuses personnes pendant la dictature communiste en Roumanie. Toute forme de contraception était illégale afin de forcer les gens à avoir des enfants, pour construire la grande nation roumaine. J’ai grandi avec ces histoires de famille : expropriation, russification forcée, absence d’autodétermination corporelle. Tout cela coexistait autour de la table du dîner.

Au fait, je pense que l’acronyme français « IVG » est une échappatoire. Trois lettres conçues pour voiler un acte médical et le rendre « acceptable ». Dites simplement avortement. C’est une réalité.

Suite à plusieurs interviews que tu as réalisée au Luxembourg, en Lituanie et au Royaume-Uni auprès de personnes ayant vécu un avortement, tu formules une comédie musicale irrévérencieuse basée sur ces histoires. Pourquoi choisir l’humour pour traiter un sujet aussi dramatique, stigmatisant et douloureux ?

Une nuit, je me suis engouffrée dans le trou noir et profond d’Internet et je suis tombée sur une collection d’histoires d’avortement sur le site de The Guardian. Une personne a été citée et disait : « Les seuls commentaires que vous n’entendrez jamais de la part de personnes qui ont avorté sont des histoires vraiment déchirantes (…). Vous voyez ces histoires dans les feuilletons tout le temps et je comprends pourquoi. C’est un bon drame. C’est vraiment important que les gens aient des témoignages de femmes qui ont avorté et qui se sentent vraiment bien face à ce sujet ». J’ai alors pensé : parfait. Permettez-moi de faire exactement le contraire de cela, une comédie musicale. Laissez-moi plutôt faire des blagues, des danses et des chansons. Soyons irrévérencieux, crus, effrontés et voyons ce que cela donne. Cela ne veut pas dire que la décision de se faire avorter est amusante, il ne s’agit pas de cela. Mais plutôt du fait que l’avortement fait et a toujours fait partie de la vie. Et en tant que tel, cela n’a aucun sens de le reléguer à un genre. Faire une comédie musicale sur l’avortement est une façon de se demander : pourquoi ne puis-je pas plaisanter sur mon expérience ? Qui peut me dire sur quoi je peux ou ne peux pas plaisanter dans ma propre expérience vécue ? Et il s’avère que d’autres ressentent la même chose.

Propos recuillis par Godefroy Gordet, parus sur Culture.lu.

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