Entretien avec Ousmane Sy

D’origine malienne et sénégalaise, Ousmane « Babson » Sy, champion du monde et figure phare du mouvement hip-hop en France et à l’étranger, est décédé subitement en décembre 2020. Queen Blood (le 29 septembre au Escher Theater) est son ultime création.

Votre univers, sa singularité, vous la définiriez comment ?
Je défends le « clubbing » sur le plateau. On peut me définir par le hip-hop, mais c’est le « clubbing » qui définit le mieux mon travail aujourd’hui. On dit : « Une musique pour toutes les danses, et une maison pour toutes les cultures ». J’essaie de rassembler tout ce que j’ai pu voir en France ou ailleurs. J’ai vécu dans des endroits très différents, je veux m’inspirer de tous les gens que j’ai pu rencontrer, que je connais. Je m’en inspire pour créer, même si cela peut paraître très utopique, j’ai le sentiment de connaître un petit peu tout le monde, et de pouvoir rassembler par le « clubbing » et la « house music », tout ce que je sais d’eux sur le plateau.

Le « clubbing », c’est l’esprit de fête ? La boule à facette, le DJ ?
Pas forcément ! Et même pas du tout ! C’est un esprit de rassemblement, de retrouvailles, de rencontres. On vient oublier ses problèmes, ses peurs. On vient écouter de la musique, on vient draguer, se consoler… C’est l’endroit où se retrouvent et se rencontrent des gens qui ont une chose en commun : la musique, la « house ». La fête, ou la joie, ce serait réducteur : il y a des gens qui ont besoin de se retrouver et de danser pour sortir du chagrin, pour oublier, bouger, survivre.

Le « clubbing », c’est ici un groupe exclusivement féminin… Sept danseuses…
Queen Blood s’inscrit dans la continuité de mes précédents spectacles… Je suis toujours resté dans mes deux thématiques principales : la house et l’Afrique, donc la « Afro House ». Mais cette danse est plutôt androgyne, comme d’autres danses hip-hop. C’est un mélange des genres, on est au-delà des questions du masculin et du féminin quand on entre dans la « house ». Là, il se trouve qu’on a des personnalités féminines, mais j’aurais pu aussi bien créer King Blood !

Queen Blood, c’est aussi le sang noble ? Qu’est-ce que c’est ?
Pour le titre, je me suis inspiré du bambara, la langue du Mali. Là-bas, on parle de « sang noble », on a choisi Queen Blood, ou « sang de reine », pour parler de la dignité, de la beauté, de la grandeur des femmes et des minorités. On est parti du postulat musical, tout part du rythme, de la musique. C’est elle qui insuffle l’énergie : la musique engendre des émotions sur les gens qui sont au plateau, c’est un voyage musical. La musique impose les mouvements et les sensations. Chacun peut choisir sa propre grille de lecture. Ce sont des identités au service de l’entité. On voit des personnalités, on les découvre, on les voit évoluer, on les rencontre… Le spectateur se raconte ses propres histoires. Elles jouent ensemble ou non, commencent par des « battles », s’affrontent, et se présentent, on part de la force collective, commune, et on rencontre des personnalités plus subtiles, on découvre leurs histoires, plus intimes.

Est-ce que Queen Blood représente le monde d’aujourd’hui, le dénonce ?
À travers la danse, on expose des influences afro-caribéennes. Mais la pièce a été écrite en 2017, bien avant le mouvement « Black Lives Matter »… Ça n’est pas le projet de Queen Blood, ce n’est pas son origine. Mais le spectacle se lit évidemment autrement aussi, aujourd’hui, avec tout ce qui se passe dans le monde. La danse et l’actualité se font écho…

Propos recueillis par Pierre Notte en 2020 pour le Théâtre du Rond Point, Paris

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