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Published on 14.10.2025
Après le succès de Leurs enfants après eux, la metteuse en scène Bach-Lan Lê-Bá Thi retrouve l’auteur Mani Muller et la Cie du Grand Boube pour adapter une autre oeuvre littéraire sur scène. Ici, changement de décor, puisqu’il s’agit de retranscrire sur scène l’atmosphère étrange de l’univers du célèbre écrivain H.P. Lovecraft. La première aura lieu le 24 octobre 2025 au Escher Theater.
L’oeuvre de Lovecraft occupe une place particulière dans notre culture populaire contemporaine. Quel est votre rapport personnel à son oeuvre ? Comment vous est venue l’idée de l’adapter sur une scène de théâtre ? L’idée était tout d’abord de travailler tous ensemble sur un projet de la Cie du Grand Boube, avec Mani Muller, Peggy Wurth et Jérôme Varanfrain… On est parti de l’univers de Lovecraft sous l’impulsion de Mani Muller, qui allait s’occuper de l’écriture et qui connaît bien l’oeuvre et l’univers de cet écrivain. Peggy Wurth, qui s’occupe de la scénographie et des costumes, a elle aussi rapidement été inspirée par l’univers de Lovecraft en imaginant une transposition sur scène. Nous sommes assez vite tombés d’accord sur l’idée d’adapter la nouvelle La couleur tombée du ciel. C’est une nouvelle de 1927, qui marque le début de son « cycle cosmique », et qui est l’une de ses oeuvres majeures. Dans cette nouvelle, on retrouve l’atmosphère d'”horreur cosmique” propres à l’univers de Lovecraft. Transposer sur scène l’indescriptible, l’indicible et l’incompréhensible a donné lieu à un passionnant travail de recherche et de création d’atmosphère.
Comment avez-vous travaillé la tension dramatique et la sensation d’angoisse propre à l’oeuvre de Lovecraft sur scène ? Nous nous sommes servis des diverses possibilités qu’offrent les moyens de la scène pour représenter la tension et l’angoisse. Il y a une évolution dans la gradation dans les événements. Les comédien·ne·s portent la dimension d’effroi et d’angoisse dans leur jeu. La création lumière de Marc Thein participe également à suggérer un sentiment d’étrangeté, tandis que le travail de Marc Scozzai à la vidéo, montre le passage du temps et la dégradation de la nature environnante. Avec Peggy Wurth et Mani Muller, on a imaginé une scénographie qui permet de passer d’une époque à l’autre aisément.
Justement, pourquoi avoir choisi de transposer l’intrigue à la fin des années 80-début 90 ? Comme il s’agit d’une adaptation pour le théâtre, nous avons voulu être totalement libres dans son développement et en même temps retrouver certains éléments présents dans la nouvelle. Nous avons choisi un présent de narration qui se situe à la période fin 80-90. Nous avons baigné dans cette culture ciné/télé-là. C’est une période où un tas de séries et de films avec des enquêtes du FBI, de la CIA ou avec des agents spéciaux ont pu être découvertes et qui présentaient des intrigues souvent sombres, mystérieuses, voire paranormales (Twin Peaks, Blue Velvet…). Pour nous, cela permet de mêler l’enquête à de l’étrangeté. Adapter la nouvelle à cette époque nous permet également d’être dans une temporalité qui nous intéresse : tout comme dans la nouvelle de Lovecraft, nous faisons référence à un passé mais à un passé plus récent avec des références croisées entre l’univers Lovecraftien et celui plus contemporain des années 80-90.
Votre mise en scène accorde une place importante au son et à la vidéo. Quel rôle joue cette dimension audiovisuelle dans la narration et l’atmosphère du spectacle ? Nous avons deux dispositifs vidéo : l’un sert de marqueur de temps avec des images projetées en arrière-scène sur un grand écran durant toute la durée de la pièce et qui représentent le cosmos, et la nature autour. L’autre dispositif vidéo nous permet d’explorer le style télévisuel des années 80-90. A cette époque, la télévision trônait dans les foyers. Dans certaines familles, le journal télé était le moyen d’information principal.Sur cet écran de télévision, nous intégrons des images d’enquête, sous forme de reportages, d’interviews, dans un style VHS des années 80-90. Cet écran a une double fonction : il sert à illustrer l’enquête en cours tout en accentuant la distorsion de la réalité, comme si le spectateur était immergé dans une vision déformée du passé. L’univers sonore est également un élément important, qui mêle des sons d’ambiances plus naturels à des mélodies, plus intimes et terre-à-terre, reflétant le personnage de Merwin, en accord avec la musique de l’époque (rock, new wave, comme Depeche Mode, OMD ou The Cure), et formant un contraste avec un monde plus vaste et effrayant. Le personnage d’Ammi Pierce (interprété par Joël Delsaut) est central, mais vous introduisez aussi une enquêtrice du FBI (interprétée par Nora Zrika). Quel rôle joue ce nouveau personnage dans votre adaptation ? Dans la nouvelle initiale, Ammi est le voisin et ami de la famille Gardner, il est le témoin direct des évènements qui se sont produits à l’époque : de la chute du météore qui laisse les scientifiques sans réponse, à ses conséquences désastreuses sur la famille des fermiers et la nature autour. Une agente du FBI arrive sur place pour enquêter sur la disparition de cette famille et le mystère “des jours étranges”, comme le nomme Lovecraft dans sa nouvelle. Pour nous, introduire l’enquêtrice Doreen permet donc de construire une enquête qui devient un prétexte pour plonger le spectateur dans un monde instable, déroutant et psychologiquement perturbant. Par effet miroir, le spectateur devient en quelque sorte à son tour, enquêteur, cherchant à assembler les pièces de ce puzzle déconcertant, ne sachant pas ou cela va le mener, acceptant d’aller vers un endroit où il ne va peut-être se perdre, loin de se convictions initiales.
La nature occupe une place importante dans cette pièce. Comment avez-vous travaillé sa représentation scénique et symbolique ? L’oeuvre pose des questions : Le monde est-il fait pour l’Humain, et va-t-il y survivre? Quelle est la place de l’Humain à l’échelle de l’univers? Que comprend-t-on de la réalité, de la nature qui nous entoure et de sa façon de fonctionner ? Arrive-t-on à tout expliquer ? Où sont nos limites dans la connaissance ? Dans la pièce, la nature d’abord en harmonie avec les personnages se comporte au fur et à mesure d’une manière invraisemblable ; la végétation florissante entourant la ferme au début, commence soudain à devenir indomptable, en décomposition et stérile. Le lait des vaches nourricier au départ devient imbuvable. L’eau, source de vie et symbole de mère nature, depuis son puits devient source d’infection. Nous cherchons à transmettre les changements de cette nature sur le plateau à travers des images qui créent un climat visuel illustrant la puissance et la dégénérescence végétale. Dans notre dispositif, la vidéo joue ce rôle central dans la représentation de la nature et de son déclin. Les changements de costumes et l’évolution du jeu des comédiens tout le long de la pièce participent également à représenter l’impact de la présence de cette nature tout autour.
Une météorite, des phénomènes inquiétants et une étrange disparition : librement inspiré de l'univers fantastique d'H.P. Lovecraft, ce spectacle nous place au coeur d'une enquête pleine de suspense et de poésie dérangeante.
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