Le 10 et 11 février à l’Ariston, Gaël Leveugle met en scène “Un homme”, récit de sombres retrouvailles alcoolisées.

En se rendant à la caravane de George, Constance fuit un mari, son argent, ses diplômes, sa mère mais surtout son incapacité de « donner du bonheur à une femme », ce que George sait faire, lui. Gaël Leveugle met en scène le sombre fiasco de ces retrouvailles imaginées d’après la nouvelle de Charles Bukowski. Surprenant.

Une porte, une table roulante, un canapé, deux gros projecteurs, une échelle et un épais matelas. Le plateau de Gaël Leveugle, riche et surtout imprévisible, recrée une nouvelle atmosphère à chaque reprise de l’histoire. Ampoules tombant du plafond et pendrillons argentés se déploient sous nos yeux. Reprise, car la pièce est constituée d’une même scène, de mêmes dialogues répétés, assortis ici d’une phrase supplémentaire, là d’un nouvel accessoire. Les verres de whisky et les cigarettes se consomment sans interruption, entraînant les personnages de plus en plus enivrés dans des considérations toujours plus sombres, voire violentes, confrontant leurs désirs à une réalité qui les dépasse. Ils boivent, dans un dialogue qui n’avance jamais, l’une se plaignant de son mari, l’autre louchant sur les jambes de la première, fantasme masculin par excellence. Pour entrer dans l’univers repoussant de cet instant ressassé, peut-être faut-il savoir que Charles Bukowski était cet américain désabusé dont l’œuvre considérable reflète une existence amère et marquée par la violence. Gaël Leveugle s’empare de cette nouvelle issue d’un recueil de 1973, South Of No North, pour mettre en lumière la solitude extrême de ses personnages transposant leurs désirs l’un sur l’autre, jusqu’à se perdre.

Du désir au sexe brutal, de l’alcool à la violence

Entre cette unique scène multipliée, Gaël Leveugle intercale des intermèdes musicaux et des moments de performance, se muant en pantin désarticulé ou en chanteur, mettant en musique certains poèmes de l’auteur (Run with the Hunted, 1993) ou des extraits de documentaire (Bukowski, Born into this, 2005), tous plus angoissants les uns que les autres (« Nous sommes nés prisonniers de cette atroce fatalité / l’impunité et le meurtre se répandront dans les rues / Il y aura des flingues et des gangs errant partout / La Terre sera rendue stérile »). Le texte très sexuel, dont la répétition entraîne le malaise, est amplifié par les sons stridents en fond de plateau de Pascal Battus assis à un établi, qui rythme la pièce de bruits dérangeants, (ne faites pas l’économie des bouchons d’oreilles distribués en début de pièce). Finalement, les deux personnages interprétés par Charlotte Corman et Julien Defaye (un duo de qualité, humble, qui laisse toute la place nécessaire au texte cru et brûlant), sont le support d’une définition plurielle et tragique du désir : comme un saut dans le vide (illustré au sens premier du terme), comme un besoin d’être reconnu, et enfin comme le miroir de sa propre existence.

Article de Louise Chevillard pour le journal la Terrasse.

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