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Entrevue avec Jorge Andrade, metteur en scène

Prochainement au Escher Theater, Jorge Andrade, sous la houlette du collectif mala voadora – qu’il codirige avec José Capela – pose la charpente du spectacle La Déclaration universelle des droits de l’Homme, une création qui se transforme au fil des pays qu’elle visite, face à de nouveaux publics et associant acteurs et actrices inédit·es, pour faire jaillir des idées du plateau, une nouvelle musique, souhaitée et rêvée comme « commune ». Le collectif portugais met en branle sous toutes les coutures cette Déclaration emblématique qui a pourtant du mal à tenir debout… Une discussion autour de ce projet ô combien nécessaire.

Quel est l’enjeu d’un tel spectacle dans son fond comme sa forme, et de sa représentation dans plusieurs pays avec des groupes de citoyen·nes différents ?
Nous aimons refaire le spectacle à chaque fois que nous incluons de nouveaux et nouvelles acteur·rices, qu’ils et elles soient professionnel·les ou non. Dans ce projet, cela a une signification particulière, car la diversité culturelle des participant·es est parallèle à la diversité culturelle des personnages historiques que nous recréons sur scène – à partir des contextes qu’ils ont représentés aux Nations Unies. Donc, plus les versions de ce spectacle sont différentes, avec des gens venants d’endroits différents, plus cela devient complexe… Ce qui nous satisfait.

Le 10 décembre 1984, l’ONU adopte la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Le texte traduit depuis en 518 langues, précise les droits fondamentaux de l’Homme mais n’a aucune valeur juridique, il n’est foncièrement qu’un symbole de bien-pensance. Mais alors, d’après vous et vos recherches, qu’est-ce qu’un droit universel ?
Quelle question difficile ! Nous n’avons pas beaucoup de mal à répondre si nous considérons notre propre contexte, mais tout devient plus complexe lorsque « l’universalité » est souhaitée, car nous n’avons pas le droit d’imposer des valeurs aux autres. Par exemple, nous pourrions dire que nous avons le droit de ne pas nous voir imposer de modèle de comportement, mais si ces droits de non-imposition sont en quelque sorte imposés, nous sommes confronté·es à un paradoxe. L’idée de « dignité » est aussi très subjective, sans parler des multiples perspectives sur la « démocratie ». Le droit au travail est reconsidéré dans certains contextes plus privilégiés, sous l’hypothèse que nous ne devons pas tou·tes travailler. Les droits les plus « faciles » sont peut-être les plus matérialistes, comme le droit de ne pas avoir faim, ou le droit d’avoir un logement…

L’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme accorde à chacun·e le droit de « quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Comment met-on en théâtre une idée qui est aujourd’hui pleinement remise en cause sans tomber dans le criticisme, voire la polémique, à moins peut-être que cela n’appartienne à votre volonté de vous positionner en tant qu’artiste « critique » ?
Nous n’avons pas peur d’être critiques. Mais en tant qu’artistes, nous comprenons la critique d’une manière artistique. Nous entendons par là que la portée critique de l’art ne peut ressembler à la portée critique d’un essai dans un journal ou d’une thèse en sciences sociales. L’art est critique dans la mesure où il invente des formes et des sensibilités différentes de celles qui prévalent. Nous y croyons, et ce spectacle évolue dans une grande fidélité envers ce principe.

Esthétiquement, quelle teneur prendra la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Partez-vous sur un spectacle où les disciplines se croisent pour se compléter, ou plutôt un spectacle de texte où gravitent d’autres disciplines ?
C’est un enjeu central dans ce projet ! La question que nous nous posions était la suivante : comment l’art peut-il aller au-delà de la discussion historique, laquelle affecte les droits de l’Homme par ses considérations géopolitiques ? Comment dépasser les limites que l’usage démagogique des mots impose aux droits de l’humanité ? Et c’est précisément en abandonnant la centralité du texte que nous avons trouvé une réponse – une rédemption. Mais le mieux est de venir voir le spectacle !

Finalement, la Déclaration universelle des droits de l’Homme est une pièce autour de la perception actuelle du monde et suite aux événements récents en Europe, ce qu’elle aurait dû être, ce qu’elle est, et ce qu’elle deviendra ou pourrait devenir… Tentez-vous d’ouvrir à une morale optimiste dans cette pièce ou plutôt à provoquer un choc face à un constat assez glaçant avec du recul ?
Nous ne pouvons pas décider de l’avenir du monde, car il est principalement entre les mains des politicien·nes et de ceux et celles qui influencent les décisions politiques. En tant que citoyen·nes, nous pouvons prendre la parole et prendre position. C’est très difficile d’agir au milieu de toute cette politicaillerie, si loin des gens. Mais en tant qu’artistes nous avons un pouvoir : celui de choisir l’optimisme que l’art peut avoir en tant qu’art ! Construire. Inventer.

Entretien avec José Galán, chorégraphe du spectacle „Gozo y llanto“

José Galán s’intéresse depuis plus de dix ans à l’apport du handicap dans le flamenco. Le 27 mai, on pourra découvrir un spectacle de sa compagnie Flamenco Inclusivo sur la scène du Escher Theater. Dans un entretien, il explique pourquoi son art est aussi politiquement incorrect que nécessaire.

L’univers du flamenco n’a jamais été étranger au handicap. Du moins c’est ce que semblent indiquer les surnoms assez « politiquement incorrects » de nombre de ses artistes : Cojo de Huelva (le boiteux de Huelva), Cara Pato (tête de canard), Gordito de Triana (le dodu de Triana), Ciego de la Playa (l’aveugle de la plage)… Comment cela a-t-il influencé votre décision de faire de l’inclusion le fil conducteur de votre formation et de votre travail ?

Cela m’a énormément influencé, mais c’était plus tard. Tout d’abord, j’ai créé la Compañía de Flamenco Inclusivo, en 2010. Cela coïncide curieusement avec la déclaration du flamenco en tant que patrimoine culturel immatériel de l’humanité, qui justifie pleinement notre philosophie : la démocratisation du flamenco pour toutes les personnes sans discrimination d’aucune sorte, élevant cet art à la catégorie de l’universel. C’est en 2011 que j’ai fait des recherches sur l’apport du handicap dans le flamenco. J’ai découvert une multitude de cas d’artistes présentant une diversité fonctionnelle tout au long de l’histoire du flamenco, de ses débuts à aujourd’hui. Cette découverte éclaire ma praxis et approfondit le cadre académique de mon projet de flamenco inclusif. Je poursuis mes recherches sur ce sujet, ce qui constitue le contenu de ma thèse de doctorat.

Le plus évident serait de penser que l’utilisation de ces surnoms traduirait un manque de considération pour ces personnes. Une autre interprétation possible serait symétriquement opposée : leur utilisation pourrait être une conséquence de l’acceptation sociale des différences comme des caractéristiques personnelles, dépourvues de connotations négatives ; il s’agirait donc d’une forme d’expression acceptable dans une société plus inclusive que la société actuelle. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ce phénomène est évoqué dans mon travail de recherche doctorale. Dans le passé, les surnoms étaient utilisés comme noms de scène, il y avait donc une plus grande acceptation sociale de la diversité. Cependant, nous vivons aujourd’hui dans une société fausse, une société de façade, à la recherche d’une perfection qui n’est pas réelle. Le flamenco inclusif est une leçon à tout cela, pour mettre les pieds sur terre et « s’enraciner dans le jondo (le profond) ». Le flamenco connaît bien cette réalité, car il est issu de la douleur d’un peuple qui crie avec ses chants et ses danses ce que son âme tait pour se donner de la dignité. De la vulnérabilité naît l’autonomisation ou la dénonciation sociale afin d’atteindre l’égalité, la justice et la liberté.

L’inclusion s’applique à toute personne impliquée dans un processus créatif. Quelles sont les clés ? Quels sont les résultats ?

On parle d’inclusion totale lorsque la participation active de l’ensemble de la société est atteinte. Pour y parvenir, nous devons disposer des ressources nécessaires à l’égalité des chances, et cela ne peut se faire que par l’accessibilité universelle. Personnellement, dans la formation, j’utilise des stratégies d’enseignement méthodologiques qui tiennent compte de la diversité et, dans les processus créatifs, je pars de capacités ou de limitations diverses comme point de départ créatif. Ce que chaque personne peut apporter de sa diversité enrichit la scène. Être soi-même apporte vérité et authenticité ou ce que l’on appelle en argot flamenco la « pureté ». Ce qui vient de l’âme se déplace et se transmet au public, ce qui est la principale caractéristique du flamenco.

Le « politiquement incorrect » est-il toujours une réalité dans le flamenco, comme c’était le cas autrefois ? Que souligneriez-vous sur ce qui reste à faire, tant dans le flamenco que dans d’autres expressions artistiques ? Où commencent les obstacles et où doit commencer l’ouverture aux soi-disant différences ?  

Le flamenco, lorsqu’il se professionnalise, cesse d’être naturel et inclusif. Plus tard, les ballets flamenco commencent à apparaître, de sorte que tout tend à s’uniformiser et que le goût du « différent » se perd, laissant de côté l’originalité, sauf dans quelques cas dissidents. Le flamenco est un art vivant qui suit le rythme et la cadence que la société lui impose. Mais le flamenco peut aussi aller de l’avant, en tant qu’activiste, par le biais des arts ou en tant que moteur du changement social. C’est un moyen de remuer les consciences, d’éliminer les préjugés et de dépasser les stéréotypes.

Y a-t-il un moment qui a eu un impact particulièrement fort sur vous ?

La flashmob que j’ai chorégraphié pour l’ouverture de la Biennale de Flamenco de Séville en 2018,  dédiée à la Diversité, a eu une répercussion internationale du « concept » de mon Flamenco Inclusif. J’en parle comme je le ressens, comme si c’était le fils que je n’ai jamais eu. Je l’aime profondément.

Y a-t-il des rêves que vous espérez voir se réaliser ?

Il y a beaucoup de rêves à réaliser, mais je me sens chanceux, car parfois le présent nous offre des moments que je n’avais même pas pensé à rêver. Je ne veux donc même pas souhaiter l’avenir, mais que la vie me donne et me surprenne avec les bons souhaits que je garde dans mon subconscient pour Flamenco Inclusivo, en tant qu’école et en tant que compagnie de danse.

Propos recueillis par Paca Rimbau et Jesús Iglesias.

Entretien avec Samuel Hercule, interprète et metteur en scène du spectacle Ne pas finir comme Roméo et Juliette

La Cordonnerie c’est la volonté de réunir cinéma, théâtre et musique, pour donner le “ciné-spectacle”. Depuis 1996, la compagnie s’attache à développer ce genre qui leur est propre en s’inspirant de près ou de loin de célèbres contes et histoires. Comme au cinéma, le public suit le film réalisé par la compagnie qui elle, réalise sur scène en direct les bruitages et la musique du film. Aujourd’hui Samuel Hercule, interprète et metteur en scène de la Cordonnerie, nous raconte cette aventure.

Comment est venue l’idée de “ciné-spectacle” ?

C’est difficile de répondre à cette question qu’on nous pose souvent. En fait c’est une évolution sur le long terme. Il y avait une envie d’avoir du théâtre, du cinéma, de la musique et on a réfléchi à comment ces choses pouvaient interagir. Au bout d’un moment la chose s’inverse, c’est à dire qu’on se rend compte qu’on a ces ingrédients, qu’on aime les utiliser, et de spectacle en spectacle on voit comment on arrive à développer quelque chose de nouveau. La chose qui nous intéresse tout particulièrement c’est de toujours se renouveler, de trouver ce qu’on peut réinventer à chaque spectacle.

Pour parler plus spécifiquement des créations que vous présentez, dans quel sens procédez-vous pour imaginer vos ciné-spectacles ?

Ça dépend des fois, ce n’est pas toujours dans le même sens. Par exemple pour Ne pas finir comme Roméo et Juliette, notre dernière création, on avait envie de raconter un amour impossible et dès qu’on pense “amour interdit” ça nous renvoie tout de suite à Roméo et Juliette. Après plus ça va plus et plus on prend des libertés. Je veux dire que ce spectacle est parcouru par endroits de Shakespeare mais ce n’est pas une adaptation de Roméo et Juliette. (…)
Mais en général c’est rarement venu d’une envie très forte d’adapter un ouvrage. Pour Blanche Neige et la chute du mur de Berlin par exemple, ce qui nous plaisait beaucoup à l’inverse, c’était d’adapter ce que tout le monde connait. Retravailler cette histoire connue de tou·tes, et voir comment on pouvait la présenter d’un autre point de vue, du point de vue de la belle-mère. Puis le mur de Berlin a surgi au milieu de cette histoire. Donc ça dépend vraiment des spectacles, on n’a pas de méthode globale, c’est beaucoup de discussions et d’allers-retours.

Vous maitrisez l’art du bruitage à merveille. Est-ce que vous les réfléchissez avant ou après le film ?

Il y a quelques bruitages qu’on prévoit avant. Avec Metilde on a tout le temps les oreilles ouvertes même quand on n’est pas en temps de création, donc il nous arrive de trouver un objet qui nous plait particulièrement et de vouloir l’inclure dans nos spectacles. Parfois on écrit des scènes uniquement pour mettre en scène un bruitage qui nous plait, mais finalement on est les seuls à le savoir, parce que quand on voit le spectacle, on ne se doute pas que ça a été fait pour cet objet-là.

Donc le film dont vous faites le bruitage est projeté derrière vous, mais comment faites-vous pour vous repérer sur la scène et être raccord avec le film ? 

Sur tous les spectacles on travaille avec des rétroviseurs qui servent à des camions. Ils sont assez gros donc on voit tout l’écran et ça permet de jouer face au public. On peut alors faire du post-synchro en direct. C’est quelque chose qu’on a aussi automatisé au fil du temps et qui fonctionne plutôt bien.

Votre dernière création s’intitule, Ne pas finir comme Roméo et Juliette. Pouvez-vous nous en parler un petit peu plus ?

C’est un spectacle qui est plus mélancolique que les précédents, même s’il est quand même très décalé. L’idée qu’on voulait sonder c’était ce groupe dont les médias parlent beaucoup : les invisibles. On se demande toujours qui ils et elles sont et c’est ce qu’on voulait questionner dans ce spectacle, sans faire les donneur·ses de leçons, ce n’est pas du tout ce qu’on défend. On a voulu faire ce spectacle par le biais d’une fable, et sur la forme on a voulu réinventer des choses au plateau, théâtraliser beaucoup plus notre démarche. En fait plus ça va et plus on est mobile, c’est à dire qu’avant on était à nos postes de bruitage et là on est beaucoup plus en mouvement, et dans ce spectacle ça se passe autour d’une table de ping-pong !

 

Propos recueillis par Zoé Kolic pour Artisticrezo

Le chorégraphe Po-Cheng Tsai nous parle de son spectacle „Rage“

Le chorégraphe taïwanais Po-Cheng Tsai fonde B.DANCE et développe un langage chorégraphique et une esthétique unique. En mariant les mouvements traditionnels asiatiques et les arts martiaux à la danse contemporaine, B.DANCE propose des pièces théâtrales, physiques et émouvantes, pour tous les publics ! Interview vidéo ci-dessous autour de son spectacle Rage :

Entretien avec Miguel Decleire, metteur en scène du spectacle „Idiomatic“

« Jusqu’ici tout va bien », et « Relax don’t do it, When you want to go to it, Relax don’t do it, When you want to come », sont les fiévreuses devises de Bernard Breuse et Miguel Decleire, qui forment, avec Stéphane Olivier, la direction artistique de Transquinquennal. Sous ces adages, après avoir participé à Bruxelles Capitale européenne de la culture en 2000, le collectif belge réitère l’expérience pour Esch2022, en proposant Idiomatic au Escher Theater : un projet aux problématiques profondément européennes.

Le collectif bruxellois « Transquinquennal » a réuni cinq comédiens·nes qui ne parlent pas tous·tes la même langue, pour explorer les occasions de ne pas se comprendre, dans le plaisir du quiproquo. Vous pouvez nous parler de la genèse de ce projet théâtral ?
En tant que Belges vivants à Bruxelles, on est habitué·es à la cohabitation des langues. On travaille avec des compagnies flamandes et la question des langues nous a toujours intéressés. On s’est demandé comment rendre cette question théâtrale, et donc on a imaginé un dispositif incluant plusieurs comédien·nes, mais sans langue unanimement commune. Pour nous, c’était aussi une manière d’interroger notre rapport aux langues, principalement en Europe. On a travaillé avec un premier groupe de comédien·nes parlant des langues apparemment peu familières entre elles, comme l’allemand, le roumain, le norvégien, le slovène et le français… Cette première mouture du spectacle a tourné dans plusieurs pays, et on a contacté divers théâtres, y compris au Luxembourg où Carole Lorang du Escher Theater s’est montré intéressée par le projet. Au vu de la situation linguistique si particulière au Luxembourg, on s’est vite rendu compte qu’il fallait recréer le spectacle autrement.

Scéniquement malléable, totalement ajustable pour être au plus proche du propos, avec une équipe artistique interchangeable : comment s’écrit et se crée un spectacle comme Idiomatic ?
On fonctionne comme on le fait souvent… On prend contact avec la réalité, on se met en face d’elle. On discute beaucoup de la situation, on fait des recherches, on essaye de se documenter autant que possible. Puis on essaye de trouver un biais spécifique qui rende compte d’une théâtralité mêlant à la fois la réalité et ce qui pourrait s’apparenter à une fiction. Le spectacle est donc une sorte de conférence théâtralisée, dont le thème central est l’insécurité linguistique. C’est un peu le thème qui a parcouru toutes les versions précédentes, finalement. On a chaque fois cherché à analyser ce qui se passe quand on ne comprend pas la langue de l’autre, quand on ne parvient pas à s’exprimer, ou quand on ne se sent pas suffisamment capable ou légitime pour parler sa langue ou celle de l’autre.  La conférence est axée là-dessus, et nous y participons tou·tes pour interroger ce que c’est qu’une langue, si c’est un outil de communication, un vecteur de culture, d’identité… ou encore autre chose. Le rôle de la langue est-il de permettre l’intégration à une communauté, de se distinguer des autres ou au contraire de faire des ponts entre les communautés ? C’est ce qu’on essaye d’explorer dans Idiomatic.

Comment s’adresser à cette multitude de publics, aux profils différents au fil de vos représentations à travers l’Europe ?
Le public est à chaque fois différent et donc on se donne les moyens d’en tenir compte dans le spectacle, que ce soit pour les représentations scolaires ou tout public. De notre côté du plateau, il y a toujours une dimension d’ouverture face aux réactions de la salle. La particularité d’Idiomatic est de jouer sur les incompréhensions possibles entre comédien·nes. Du coup, ça nous semblait intéressant de répercuter cela également dans la salle. On met en branle l’idée que tout le monde ne comprend pas tout, un facteur qui fait partie de la dramaturgie du spectacle. Il s’agit de s’autoriser à ne pas comprendre. Quand tout n’est pas explicite, mon voisin a compris quelque chose que je n’ai pas compris, et vice et versa. Qu’est-ce que cette dimension-là peut raconter ?

 

Concert de Nouvel An : une nouvelle émulsion

Les années passent comme un claquement… de castagnette. Nous revoilà, tradition musicale de haut rang, à penser au concert du Nouvel An qui se tiendra au Escher Theater. Comme chaque année. Mais comme chaque année la répétition n’est pas de mise. Car le succès repose une fois encore sur la diversité.

Gast Waltzing est de ces hommes qui aiment à bousculer les idées, élargir les cadres, créer des connexions. On se souvient de ses dernières éditions où le pop-rock ukrainien des Dakh Daughters a ébranlé nos perceptions (2020), où Morgane Ji, la Creole Queen (2021) a enchanté l’auditoire de ses sonorités d’outremer. De tels spectacles battent en brèche nos frontières, les bornes et les barrières en sus qui les composent. Le public était sorti de la salle conquis par ces alliages musicaux puissants. De la bonne fonte, version eschoise, c’est-à-dire élaborée avec l’apport de multiples courants, cultures, visions. Une marque de fabrique, dorénavant, qui rajoute à l’attrait du concert de Nouvel An.

Que deviennent les valses de Vienne? Elles restent, pour l’occasion seulement, à Vienne, «ils font ça à merveille! Donc jamais je ne créerais de concert du Nouvel An, à Esch, sur ce genre», confie le chef d’orchestre rajoutant: «le public sait maintenant qu’il va avoir quelque chose de spécial». Place à la jeunesse La situation actuelle coupe les ailes à nombre d’artistes. Comment peuvent-ils montrer leur art, leur talent, leurs compositions, si les scènes tardent à s’ouvrir, si les spectacles se programment au compte-gouttes… ou se déprogramment ? Par quel biais, autre que l’exposition virtuelle, un jeune artiste ou un groupe en devenir peut-il se faire connaitre sans possibilité de monter sur scène? Ce constat le monde artistique l’a fait dans son ensemble.

Gast Waltzing n’est pas resté les bras ballants, définissant, pour cette édition à venir, d’intégrer une ribambelle de jeunes artistes luxembourgeois, talentueux et à l’aube d’une carrière prometteuse. La sélection de ces jeunes artistes s’est opérée tout naturellement. Pour la grande majorité d’entre eux, il s’agit d’artistes avec lesquels le chef d’orchestre a déjà travaillé. Il les connait, ils se connaissent, ils savent travailler ensemble et ils le font bien. L’un cependant ne faisait pas partie – pas encore! – de son vaste réseau. « J’ai écouté certains de ses morceaux. Cela m’a plu, beaucoup plu, alors je l’ai choisi! » Le 1er janvier 2022, à 17h00, le théâtre vibrera donc aux sons de l’orchestre
de Chambre Estro Armonico, dirigé par Gast Waltzing et des rythmes de rap et de hip-hop d’artistes de la scène luxembourgeoise.

Ces mélanges de genres, tout en harmonie, les spectateurs des précédentes éditions y ont déjà goûté… et apprécié! Quand ils viennent au Concert de Nouvel An, ils savent maintenant qu’ils vont être surpris… Sans pour autant prévoir, avant le spectacle, la teneur de cette surprise. La patte de Gast Waltzing!

Article de Jean-Marc Streit pour le Kultesch

Entretien avec Jean-Claude Gallotta

Après son passage en mars 2020 avec l’enivrant L’homme à tête de chou, le grand pionnier de la Nouvelle danse Jean-Claude Gallotta revient au Escher Theater avec son nouveau spectacle : Le Jour se rêve

Que s’est-il passé, chez Merce Cunningham, à la fin des années soixante-dix, à New York, et que l’on va retrouver ici ?
À New York, j’ai découvert un « esprit » de la danse, l’influence de John Cage, du groupe Fluxus ou de la Judson Church. De l’humour et de la pensée, de la fantaisie et de l’invention. Tous ces gens qui m’ont indiqué le chemin de la prise de liberté avec les règles et les canons de l’art. Je revois Merce Cunningham dans son studio nous interrompre en disant : « Ne faites pas les héros », nous faisant comprendre ainsi que « la danse, ce n’est pas à celui qui saute le plus haut ! ». Je le revois dans la Cour d’honneur à Avignon effectuant quelques mouvements de bras qui tout d’un coup m’ont fait percevoir l’aura de la danse, comme la peinture impressionniste l’a fait par rapport au réel… C’est là que je me suis dit : je veux faire ça. Le Jour se rêve est un hommage à cet homme qui aurait 100 ans aujourd’hui et qui nous inspire encore.

Vous travaillez sur trois tableaux et deux solos, avec dix danseurs et danseuses…
Oui, nous allons créer trois chorégraphies, chacune d’environ 25 minutes avec trois « couleurs » différentes, trois « peaux ». Une première partie plutôt transe et chamanique qui serait un hommage à la nature et aux troubles solaires, une deuxième partie plutôt urbaine hommage à la ville phosphorescente et folle, et une troisième partie très rythmée comme une comédie musicale du 22ème siècle où les duos se frotteront aux ensembles diaprés pour finir sur un épilogue enivrant. Entre les parties je vais danser sur des chansons étranges et belles de Rodolphe Burger. Deux solos donc, à la fois lyriques, dadaïstes et documentaires…

Que demandez-vous à Rodolphe Burger ?
J’ai rencontré Rodolphe Burger par l’intermédiaire de Bashung avec qui il avait travaillé. On s’est approché, et l’année dernière, je suis allé le voir. J’avais déjà repéré des choses dans ses albums, des morceaux que j’aimais et même des durées. J’avais besoin de trois séquences musicales. Il a été d’accord. Nous sommes allés dans son studio en Alsace. Là, seul avec sa guitare et ses machines, il a improvisé les trois séquences. Magnifiquement.

Quelle est la première chose que vous demandez à vos interprètes ?
Aux danseurs, je demande, je crois, une disponibilité de corps et d’esprit. Je leur parle de la structure de la pièce, de Rodolphe Burger, de Dominique Gonzalez-Foerster et puis je les lance sur des gestes. À eux de proposer comment les prolonger. Ensuite, bien sûr, toutes ses propositions sont à structurer. J’ai des interprètes extraordinaires qui jouent le jeu. Je les laisse libres d’improviser, mais ils me laissent libre aussi de réinventer continuellement, en parfaite confiance. Ainsi, chaque jour se rêve…

Propos recueillis par Pierre Notte pour le Théâtre du Rond-Point

Édito de la directrice

C’est là le plus beau paradoxe de tous. Le sentiment de perte de contrôle, qui, à l’heure où j’écris ces lignes, nous accompagne depuis plus d’un an, a certes ébranlé nos certitudes, mais il a aussi révélé des forces cachées. Le théâtre, tantôt fermé jusqu’à nouvel ordre, tantôt ouvert sous réserve d’observer des règles sanitaires drastiques ou de jongler avec des changements de dernière minute, nous rappelle qu’il fait partie d’un secteur culturel aussi précieux que fragile. Le théâtre est décidément un lieu surprenant, bourré de ressources et d’inventivité, un lieu qui, même dans l’adversité, peut compter – avec le soutien dont il a bénéficié en haut lieu – sur la capacité d’adaptation et d’improvisation des siens.
Nous tous, public, artistes, équipe du théâtre, nous avons peut-être réappris à voir chaque événement artistique pour ce qu’il est : une surprise et un cadeau, un moment exceptionnel de grande intensité. Exceptionnelle, cette saison le sera sans doute, avec la finalisation de la transformation de l’ancien cinéma Ariston en seconde salle du Escher Theater. L’Ariston mettra en valeur les arts de la scène sous toutes ses formes – Jeunes publics notamment – à travers des créations encore plus intimistes et innovantes.
Au regard d’Esch2022 et de son leitmotiv, Remix culture, nous avons apporté un soin particulier aux propositions participatives qui stimulent l’échange, notamment entre artistes et spectatrice·eur·s ou entre professionnels et non professionnels. Enfin, nous n’avons pas oublié que nous avons besoin aussi – et maintenant plus que jamais – du souffle d’un certain Buster Keaton. Et c’est plein de conviction que nous avons réservé une place de choix au cirque et à la danse, à des moments d’évasion et de doux émerveillement.
Espérons que la nouvelle saison nous permettra un retour à une certaine normalité.

Notre artiste associée Simone Mousset au Festival OFF d’Avignon 2021

Sympathique et déroutante, la chorégraphe Simone Mousset propulse ses projets dans une expérimentation où expressions dansée et théâtrale flirtent sans accroc pour dévoiler un goût prononcé pour le burlesque et l’absurde.
Forte du soutien du Escher Theater, la chorégraphe est au programme du festival OFF d’Avignon 2021 (5-25-juillet), dans LE lieu estampillé « danse » de cette grande messe du spectacle vivant : Les Hivernales – CDCN d’Avignon. Elle y présente son spectacle The Passion of Andrea 2.

Interview réalisé par laglaneuse.lu :

The Passion of Andrea 2 , c’est quoi ?
The Passion of Andrea 2 renvoie à ce savon qu’on essaye d’attraper quand il est mouillé. C’est cette solution qui nous échappe constamment. C’est un tour de magie, un jeu mortel, une performance dansée, une farce, un débat, une musique, un monologue de science-fiction, c’est tout cela en même temps. Se faisant passer pour la suite d’une version antérieure et inexistante de lui-même, The Passion of Andrea 2 s’apparente à un escroc espiègle d’une pièce de danse sur le sentiment de malaise, sur l’incapacité à comprendre pleinement le monde qui nous entoure, sur le désir douloureux d’autre chose.

Une histoire passionnelle ?
Pour moi, la passion d’Andrea est une manière de me focaliser sur une sorte de difficulté existentielle que l’humanité traverse. La passion se réfère au chemin douloureux voire difficile de la vie et non pas au sens religieux de la Passion du Christ. Au fond, Andrea, c’est peut-être nous-mêmes.

Comment as-tu imaginé ce spectacle ?
C’est comme si la pièce ne savait pas elle-même ce qu’elle est. Est-elle un musée ? Un ballet ? Une pièce de Shakespeare ? Une danse abstraite ? Elle voyage entre ces différents désirs. Et elle parle justement de cela : du non choix et du non positionnement dans un univers régi par le sentiment d’urgence.

La passion, est-ce drôle ?
Au départ, je n’ai pas fait le choix de faire une pièce humoristique, c’est juste ce qui sort de moi sur le moment ; dans 1 ou 5 ans, ça sera peut-être différent. Ce qui est dans la pièce, ce sont des manifestations du désir. Ces désirs viennent de mon passé, de mes expériences, de ma vie, peut-être des choses que j’ai vécues ou des intérêts que je porte. Mais le choix du surréel et du bizarre continue à se faire malgré moi de créations en créations.

L’art de s’émerveiller

Note d’intention de Mathieu Bauer, metteur en scène de « Buster » le 11 mai au Escher Theater.

Je suis depuis toujours émerveillé par cette figure de l’homme que l’on a surnommé « l’homme qui ne rit jamais », « la figure de cire » ou encore « le visage de marbre » : Buster Keaton. Ses films ont toujours suscité en moi à la fois un plaisir enfantin de spectateur et l’admiration face à l’immense cinéaste et artiste qu’il était. Beaucoup sont entrés au panthéon de ma cinéphilie et restent des références dans mon imaginaire d’artiste.

Car au-delà des tartes à la crème, des poursuites et des cascades spectaculaires, Keaton est passé maître dans l’art ô combien compliqué de ce que l’on appelle le cinéma burlesque. Sous-tendant en permanence les rapports difficiles de l’homme face aux objets, face à l’espace et face à l’Autre, il décline et fait évoluer son personnage dans ce monde totalement parallèle qu’il invente face à l’adversité, et qui devient source d’une multitude de gags. C’est alors un corps chargé de poésie et de mélancolie, pétri d’humanité, qui se heurte à la dureté de notre monde et fait jaillir en nous un rire salutaire. Je retiens aussi la fulgurance de certaines idées de mise en scène qui sont, encore et toujours, une source d’émerveillement quand je les revois.

J’aimerais par ce ciné-concert singulier, à mi-chemin entre la performance, la conférence et le concert, rendre hommage à ce génie.

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