Article de Fabienne Darge paru dans Le Monde, 21/07/2023
Dans le « off » du festival, à La Scala Provence, Rachel Arditi et Justine Heynemann redonnent vie au premier groupe de punk féminin, créé en 1976, dans un spectacle qui dépote.
À La Scala Provence, les épingles à nourrice et les blousons de cuir cloutés sont aussi dans la salle. Avignon pogote, avec un spectacle qui dépote, Punk.e.s ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres, créé par deux quadragénaires d’aujourd’hui. Rachel Arditi et Justine Heynemann qui ont coécrit le texte (mis en scène par la seconde), sont nées au moment où quatre filles en colère créent le premier groupe de punk féminin britannique, The Slits : entre 1976 et 1977. Moins connues que leurs homologues masculins des Sex Pistols ou des Clash, les Slits (« fentes », en français) n’en sont pas moins restées dans l’histoire du rock comme des pionnières, qui ouvriront la voie aussi bien à Björk qu’à PJ Harvey, Beth Ditto ou Lady Gaga.
Rachel Arditi et Justine Heynemann en font des figures on ne peut plus attachantes, dont l’épopée, qui durera quatre ans, jusqu’en 1979 – le groupe se reformera en 2006, mais ce ne sera plus la même histoire –, s’incarne en un spectacle formidablement vivant, pêchu et tendre (mais oui). La musique, jouée en direct par d’excellents interprètes, fait ici partie intégrante de la dramaturgie : elle se tisse avec les dialogues et la narration avec évidence.
Tout commence à l’hiver 1976. « Un hiver terrifiant. L’hiver du mécontentement. Le pays est tombé dans une crise sans précédent. Les jeunes sont au chômage. Les rues sont grises, le futur est noir. Tellement noir qu’il a disparu », écrit Rachel Arditi, dont le texte est tout du long plein d’esprit et de sensibilité. Ariane Forster, dite Ari Up, Paloma Romero, dite Palmolive, Viviane Albertine, dite Viv Albertine, et Tessa Pollitt se rencontrent avec la même envie d’en découdre. Elles ont entre 14 et 20 ans, et elles ont toutes le même modèle : Patti Smith, qui, en 1975, vient de sortir son premier album, Horses, avec cette chanson, Gloria, qu’elles écoutent encore et encore.
Sex Pistols, Iggy Pop, Rolling Stones…
Et c’est avec Gloria que commence Punk.e.s, qui fait vivre leurs rêves et leurs combats contre un milieu du rock qui est encore un bastion masculin tout aussi machiste, pour ne pas dire plus, que le reste de la société, et contre le formatage de leur image imposé par les maisons de disques. On croise dans ce spectacle, s’inscrivant dans la filiation d’une certaine comédie anglaise à la The Full Monty, tout un monde qui fait partie de la légende du punk. De Sid Vicious, « qui n’a pas la lumière à tous les étages », à Mick Jones, chanteur et guitariste des Clash, et petit ami de Viv Albertine, en passant par Nora Forster, la mère d’Ari Up, amie de Jimi Hendrix et future épouse de John Lydon, le chanteur des Sex Pistols – Nora Forster sans
qui les Slits n’auraient pas existé.
L’époque revit, aussi, à travers les morceaux choisis et réinterprétés avec brio, et qui composent un véritable paysage fait de colères, de désirs, de sensibilité et de lucidité face au futur qui se profile : en 1979, Margaret Thatcher accédera au pouvoir au Royaume-Uni, et le monde ne sera plus jamais le même. D’Anarchy in the UK, des Sex Pistols, à I Wanna Be Your Dog, des Stooges, de Miss You, des Rolling Stones, à Silly Games, de Janet Kay, en passant par une interprétation magnifique, tout en douceur, de Should I Stay or Should I Go, des Clash. Sans oublier les propres chansons des Slits, à commencer par ce Typical Girls, où les filles moquent avec une ironie mordante ces « femmes moyennes » qui « ne créent ni ne se rebellent », et ne vivent que dans l’attente de leur « typical boy ».