Au défi de la peur et de la pesanteur

Scala entraîne le spectateur dans une fugue métaphorique, qui prend sens à travers la relation qui se joue entre l’homme et les forces qui le traversent.

TEASER

Ainsi nommé par Yoann Bourgeois parce que le lieu [La Scala à Paris] même l’a inspiré, Scala se déploie dans un dispositif qui reprend le bleu choisi par Richard Peduzzi pour habiller le théâtre. Soit un espace domestique revisité par les surréalistes : des portes à la Magritte – qui grincent -, un escalier central qui s’élance vers l’infini, un lit qui bascule et se redresse, un coin salon avec des tableaux qui ne tiennent pas en place, des chaises et une table qui se déforment et se reforment à l’infini. Mais aussi de chaque côté de l’escalier deux trampolines qui donnent des ailes au mouvement. Sept interprètes – cinq hommes et deux femmes – habitent et parcourent cet espace : avec une fluidité qui ne doit rien au hasard, ils effectuent et répètent mécaniquement quasi les mêmes trajectoires imposées par des réactions en chaîne, soumises à un automatisme qui éclaire autant une impossible issue heureuse que l’entêtement humain à essayer encore et encore. « Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. » disait Samuel Beckett…

Obstination à vivre

Captifs d’un mouvement permanent, d’une partition ponctuée de subtiles variations, ils chutent, se relèvent, disparaissent dans des terriers qui les engloutissent, réapparaissent, se suivent, se dédoublent, s’élancent, s’affaissent… Après Celui qui tombe (2015), qui imposait aux interprètes la contrainte d’un sol perpétuellement mouvant, Yoann Bourgeois poursuit ici sa quête du « point de suspension », d’une théâtralité singulière, à la fois circassienne et chorégraphique, où les « acteurs-vecteurs » sont manipulés et agis par les forces qui les traversent. Les hommes et femmes se confrontent à une somme de machines, qui chacune relie un objet du quotidien à un mécanisme qui détraque habitudes et confort. Yoann Bourgeois relève que la relation entre le corps et les forces physiques qui le contraignent est « une source inépuisable de drame ». Certains moments sont plus évocateurs que d’autres. Parfois l’humour s’en mêle, comme lorsque le balai s’attaque à une multitude de doigts qui sortent de trous. Parfois un changement de costumes nous alerte sur la précarité de l’humanité. C’est surtout dans l’effort et l’insistance de ces êtres assujettis que la pièce, quoiqu’inégale, est touchante. Dans leur obstination à vivre. L’aventure théâtrale des corps en mouvement est un périple mental que chacun appréhende à sa guise…

Article de Agnès Santi pour le journal La Terrasse.
© photo : Géraldine Aresteanu

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