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Publié le 10.01.2023
Au Luxembourg, on connait Jérôme Varanfrain en tant que comédien, pour avoir joué dans de nombreux films et productions théâtrales, et comme metteur en scène, signataire de plus d’une dizaine de créations théâtrales. Il s’attèle aujourd’hui à mettre en scène Le Banquier anarchiste de Fernando Pessoa, et nous explique le cheminement de la lecture d’un texte qu’il trouva d’abord frustrant à la passion qui l’a animé pour le porter à la scène. Il en livre habilement une vision neuve, fraiche, détonante du récit de l’auteur portugais, véritable pamphlet incendiaire contre la société bourgeoise.
Peux-tu nous relater la genèse de ce projet de création ? Le Banquier Anarchiste est un ouvrage que j’ai découvert il y a plusieurs années, alors que j’habitais depuis peu au Luxembourg : j’ai été attiré par le titre provocateur et ne connaissant pas bien Pessoa, je pensais que cela pouvait être une porte intéressante à son oeuvre. À vrai dire, la première lecture m’a laissé sur ma faim : je n’y trouvais pas de théories philosophiques surprenantes, mais plutôt un récit assez opaque, presque hermétique. Je refermai le livre un peu frustré. L’oeuvre étant constituée d’un dialogue entre deux amis, l’un voulant démontrer à l’autre, « comment, parce qu’il est anarchiste, il est devenu banquier », pour que cela évoque les dialogues socratiques. Mais, et c’est peut-être le cas pour toutes les « grandes » oeuvres, ce que j’y avais lu, les attitudes du banquier, sa personnalité « oxymoresque » me revenait souvent en mémoire. Je me disais qu’en l’adaptant pour le théâtre, en y découvrant une situation éprouvée par les personnages, cela pouvait devenir un spectacle que je qualifierai d’existentialiste. Le public pourrait assister à l’évolution d’un homme qui expérimente ses théories contradictoires et quelles séquelles cela peut engendrer.
Pourquoi prendre pour fondement de ton spectacle cette oeuvre ô combien symbolique dans l’oeuvre entière de l’auteur portugais, même si clairement marginale dans son corpus ? Cette oeuvre de Pessoa représente tout ce que notre monde actuel peut porter d’abject et d’attrayant à la fois : le dépassement de soi, la résilience – terme au combien utilisé dans notre monde actuel –, dans un contexte ou l’Autre n’est même plus une projection de soi, mais où il est soit un objet que l’on peut utiliser pour parvenir à ses fins, soit un monstre s’il nous en empêche. Le banquier, sous couvert d’humanisme, nous donne une vision de l’être humain assez désespérée. J’ai cherché à axer mon adaptation autour de ce rapport à l’autre, sur le fait de savoir ce qu’il se passe « en soi quand on se coupe des autres, de sa propre humanité, de cette cohésion sociale ». Il me semblait important aussi d’axer l’adaptation sur l’univers plus poétique de Pessoa, d’ouvrir la pièce à son univers plus complexe, existentiel. Ici, le banquier aura des visions qui le renvoie à ses propres démons, comme Pessoa lui-même les décrivaient. Sans doute, son admiration pour La Divine Comédie de Dante n’est pas anodine.
Par ce discours incisif, provoc’, giflant une société guidée par l’argent et le libéralisme, est-ce une manière pour toi de tacler ce pays banquier dans lequel ta pièce trouve ses premières dates, comme une sorte de mise en abyme des débats que tu souhaites porter ici ? Ce sont des anarchistes qui s’ignorent alors… Mais en effet, dans un certain sens, oui… Le Luxembourg est un pays qui m’a énormément apporté sur le plan personnel et professionnel. Mais j’ai l’impression qu’il devient un monstre de fric : des trilliards y circulent. Je me sens un peu comme ce banquier : à la fois acteur de ce pays, dans tous les sens du terme, et étranger, seul. Je suis très touché quand je vois ces jeunes qui sortent des grandes écoles annoncer qu’ils refusent de participer à ce monde tel qu’il est. Et en même temps, je reste circonspect et pessimiste : j’ai toujours l’impression que notre société libérale parvient à englober et à tirer profit des révoltes qu’elle suscite. Cela nous rend schizophrène…
Un discours détonnant et jubilatoire, empli de provocants paradoxes, dénonçant les vices d’une société bourgeoise et libérale (autrement dit : la nôtre) et son attrait pour l’argent, ennemi numéro un de la liberté.
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