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Publié le 01.06.2022
Prochainement au Escher Theater, Jorge Andrade, sous la houlette du collectif mala voadora – qu’il codirige avec José Capela – pose la charpente du spectacle La Déclaration universelle des droits de l’Homme, une création qui se transforme au fil des pays qu’elle visite, face à de nouveaux publics et associant acteurs et actrices inédit·es, pour faire jaillir des idées du plateau, une nouvelle musique, souhaitée et rêvée comme « commune ». Le collectif portugais met en branle sous toutes les coutures cette Déclaration emblématique qui a pourtant du mal à tenir debout… Une discussion autour de ce projet ô combien nécessaire.
Quel est l’enjeu d’un tel spectacle dans son fond comme sa forme, et de sa représentation dans plusieurs pays avec des groupes de citoyen·nes différents ? Nous aimons refaire le spectacle à chaque fois que nous incluons de nouveaux et nouvelles acteur·rices, qu’ils et elles soient professionnel·les ou non. Dans ce projet, cela a une signification particulière, car la diversité culturelle des participant·es est parallèle à la diversité culturelle des personnages historiques que nous recréons sur scène – à partir des contextes qu’ils ont représentés aux Nations Unies. Donc, plus les versions de ce spectacle sont différentes, avec des gens venants d’endroits différents, plus cela devient complexe… Ce qui nous satisfait.
Le 10 décembre 1984, l’ONU adopte la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Le texte traduit depuis en 518 langues, précise les droits fondamentaux de l’Homme mais n’a aucune valeur juridique, il n’est foncièrement qu’un symbole de bien-pensance. Mais alors, d’après vous et vos recherches, qu’est-ce qu’un droit universel ? Quelle question difficile ! Nous n’avons pas beaucoup de mal à répondre si nous considérons notre propre contexte, mais tout devient plus complexe lorsque « l’universalité » est souhaitée, car nous n’avons pas le droit d’imposer des valeurs aux autres. Par exemple, nous pourrions dire que nous avons le droit de ne pas nous voir imposer de modèle de comportement, mais si ces droits de non-imposition sont en quelque sorte imposés, nous sommes confronté·es à un paradoxe. L’idée de « dignité » est aussi très subjective, sans parler des multiples perspectives sur la « démocratie ». Le droit au travail est reconsidéré dans certains contextes plus privilégiés, sous l’hypothèse que nous ne devons pas tou·tes travailler. Les droits les plus « faciles » sont peut-être les plus matérialistes, comme le droit de ne pas avoir faim, ou le droit d’avoir un logement…
L’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme accorde à chacun·e le droit de « quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Comment met-on en théâtre une idée qui est aujourd’hui pleinement remise en cause sans tomber dans le criticisme, voire la polémique, à moins peut-être que cela n’appartienne à votre volonté de vous positionner en tant qu’artiste « critique » ? Nous n’avons pas peur d’être critiques. Mais en tant qu’artistes, nous comprenons la critique d’une manière artistique. Nous entendons par là que la portée critique de l’art ne peut ressembler à la portée critique d’un essai dans un journal ou d’une thèse en sciences sociales. L’art est critique dans la mesure où il invente des formes et des sensibilités différentes de celles qui prévalent. Nous y croyons, et ce spectacle évolue dans une grande fidélité envers ce principe.
Esthétiquement, quelle teneur prendra la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Partez-vous sur un spectacle où les disciplines se croisent pour se compléter, ou plutôt un spectacle de texte où gravitent d’autres disciplines ? C’est un enjeu central dans ce projet ! La question que nous nous posions était la suivante : comment l’art peut-il aller au-delà de la discussion historique, laquelle affecte les droits de l’Homme par ses considérations géopolitiques ? Comment dépasser les limites que l’usage démagogique des mots impose aux droits de l’humanité ? Et c’est précisément en abandonnant la centralité du texte que nous avons trouvé une réponse – une rédemption. Mais le mieux est de venir voir le spectacle !
Finalement, la Déclaration universelle des droits de l’Homme est une pièce autour de la perception actuelle du monde et suite aux événements récents en Europe, ce qu’elle aurait dû être, ce qu’elle est, et ce qu’elle deviendra ou pourrait devenir… Tentez-vous d’ouvrir à une morale optimiste dans cette pièce ou plutôt à provoquer un choc face à un constat assez glaçant avec du recul ? Nous ne pouvons pas décider de l’avenir du monde, car il est principalement entre les mains des politicien·nes et de ceux et celles qui influencent les décisions politiques. En tant que citoyen·nes, nous pouvons prendre la parole et prendre position. C’est très difficile d’agir au milieu de toute cette politicaillerie, si loin des gens. Mais en tant qu’artistes nous avons un pouvoir : celui de choisir l’optimisme que l’art peut avoir en tant qu’art ! Construire. Inventer.
Qui a écrit la Déclaration universelle des droits de l’Homme ? Une clique de nations privilégiées, à l’exclusion d’autres (futurs) pays, d’autres minorités, d’autres façons de voir le monde ?
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