Entretien avec les soeurs h

Connues pour leurs narrations originales, leurs vidéos expérimentales et une musique live déconcertante, les performances des sœurs h et Maxime Bodson sont des créations satellites qui détonnent à coup sûr. Deux représentations de Totale éclipse auront lieu au Escher Theater les 17 et 18 mai, avec un message percutant  : exister, sans compromis, bien au-delà des sempiternels poncifs et stéréotypes. 

Totale Eclipse n’est pas une première mais s’inscrit plutôt dans un chantier au long cours, celui de questionner les normes, les cadres, de ne pas rechercher une forme homogène.
Marie Henry : Avec Isabelle, nous essayons toujours de réinterroger notre manière de travailler ensemble. C’est important pour ne pas nous ennuyer et cela nous permet de créer aussi des objets toujours un peu différents. Nous travaillons en ping-pong : une fois, c’est elle qui apporte en premier la matière visuelle, une fois c’est moi qui vient avec la matière textuelle, une autre fois c’est Maxime avec sa proposition musicale, une fois c’est le côté plus performatif qui est mis en avant, etc. Nous sommes donc passées par différentes formes : d’abord des vidéos, puis des installations vidéo, puis des « espaces narratifs hybrides » avec Maxime qui jouait en live sur les projections, puis de la performance avec deux adolescentes sur scène qui agissaient d’une manière picturale dans l’image, et puis, ici, à quelque chose de plus théâtral, avec Augusta (sa fille).

Dans Totale Eclipse on voit notamment des enfants et des personnes âgées : comment vous est venu ce choix de porter l’attention particulièrement sur elles et eux ?
M. H. :Tout d’abord, comme Augusta le dit dans son texte forcé, « pour des contraintes économiques, pas pour des raisons sentimentales » ! Tout comme nous avions Augusta sous la main, nous avions pendant les vacances d’été nos parents à disposition. Nous devions filmer vite. En quelque sorte, les « comédien·nes » étaient tout trouvé·es. Il est vrai qu’en plus de ce travail « familial-artisanal » qui nous caractérise, nous ne travaillons jamais avec des comédien·nes professionnel·les. Pour nous, il n’y a aucun intérêt à savoir jouer. Ça dessert même un peu. Quand Isabelle filme, elle ne fait que donner des consignes telles que : marche, recule, tourne le visage, fais semblant de lécher une glace, etc. Tout le monde est capable de le faire ! Nos parents étaient assez ébahis à vrai dire de ce qu’on leur demandait… Et puis cette contrainte a fait sens. Nous avons trouvé intéressant de mettre en miroir la jeunesse et la vieillesse. Car ce sont finalement deux groupes qui posent la question du cadre. Cadre dans lequel nous les maintenons, enfermons, ou duquel on les exclue. Aux enfants on dit : fais ceci, fais cela, ne fais pas ça, attention à… Et à qui demandons-nous de sortir du cadre ? De devenir presque invisibles ? Aux personnages âgées, qui ne représentent plus un marché économique et nous renvoient à la vieillesse qu’on ne veut pas voir. Mais encore une fois, parler du fait qu’on met au ban de la société les personnes âgées et que les enfants sont enfermé·es dans nos attentes n’était pas le point de départ : cela s’est construit en cours de route.

Isabelle Henry Wehrlin : Avec une thématique comme « Tout est possible », nous ne voulions pas traiter de sujets « in », comme la question du genre par exemple. Car cela aurait été trop dans le cadre du moment, justement… Mais plutôt porter une attention sur ce qui se joue discrètement au quotidien, ce qui se montre moins, intéresse moins.

Au niveau formel, Totale Eclipse cherche à dérouter, à surprendre : par quels moyens avez-vous cherché à contrer les attentes ?
M. H. : Nous ne cherchons jamais à traduire un seul message mais plusieurs, en jouant avec les couches narratives. Nous déconstruisons toutes les deux une forme de pensée linéaire, par le travail de l’image, l’écriture fragmentée et la musique de Maxime qui n’est pas spécialement « narrative ». Nous déroutons donc toujours un peu par ce travail en multicouches, qui parle à chacun·e d’une manière différente et renvoie finalement les spectateurs et spectatrices face à leur propre histoire. Comme il y a des manques et des confrontations de narration, ils et elles doivent un peu lâcher prise, et c’est aussi une demande qui peut dérouter. Être face à un sens unique est plus confortable. Et c’est vrai que nous aimons particulièrement brouiller les pistes, et placer les spectateurs et spectatrices face à leurs ambivalences ou contradictions. La morale est vraiment quelque chose qui ne nous intéresse pas et fuyons à tout prix. Nous préférons questionner : qu’est-ce que ça provoque chez moi de voir une représentation d’un corps âgé ? Avons-nous vraiment évolué dans le rapport hommes-femmes ? Ne sommes-nous pas toujours enclin·es à répondre à des attentes ?

Propos recueillis par Culture & Démocratie

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