Entretien avec Jean-Louis Martinelli

Jean-Louis Martinelli met en scène la farce imaginée par Molière, double charge contre l’abus de pouvoir paternel et l’ignorance assassine des médecins, servie par des comédiens flamboyants. Deux représentations auront lieu au Escher Theater les 8 et 9 novembre.

Comment ce projet est-il né ?
Dominique Bluzet m’a fait part de son désir de travailler sur des formes courtes de théâtre classique pour aller à la rencontre des gens qui ne vont pas au théâtre. La pièce est créée au théâtre d’Aix en intérieur, mais l’objectif est de pouvoir la jouer partout, y compris en extérieur. Seule contrainte impérative : il fallait que le spectacle ne dure pas plus d’une heure. Je me suis alors souvenu de cette courte pièce de Molière, sorte de brouillon du Médecin malgré lui. Un seul élément matériel (les costumes, que Christian Lacroix a accepté de réaliser) soutient l’imagination. Sinon, le décor se réduit au strict minimum : une table et une chaise. Lully avait composé la partition de cette comédie-ballet, mais dans la mesure de l’objectif assumé d’accessibilité, j’ai renoncé à la musique baroque et j’ai demandé à Sylvain Jacques d’imaginer une musique plus contemporaine, qui corresponde mieux à l’esprit du projet.

Quelle lecture faites-vous de la pièce ?
La pièce aborde essentiellement deux thèmes : celui du mariage forcé et de l’autorité imbécile des pères, qui peut encore faire écho aujourd’hui, et celui des atermoiements ignorants et des contradictions de la médecine qui, en cette sortie de pandémie, résonne forcément à nos oreilles qui ont entendu pendant des mois des médecins sur les ondes pour dire tout et son contraire. Molière écrit la pièce au moment où les médecins charcutaient Anne d’Autriche, la mère de Louis XIV, littéralement dépecée pour soigner son cancer du sein. Mais sa critique de la médecine de l’époque est aisément transposable. La farce s’appuie aussi sur la folie du père qui ne veut pas lâcher sa fille. Son prétendant se fait passer pour un médecin, d’où le titre de la pièce. Mais mieux que l’amour, je crois que c’est le théâtre qui soigne cette fille, et qui accessoirement nous sauve nous tous ! Il est intéressant d’interroger la forme de mélancolie qui saisit cette jeune fille, que Charcot aurait peut-être traitée comme une hystérique. Feints ou réels, ses symptômes apparaissent à partir du moment où on lui refuse son prétendant et où elle choisit la dépression comme refuge. Hors de ces considérations, je veux surtout traiter cette pièce comme une farce, dans la veine de la commedia dell’arte, en travaillant sur le grotesque. Deux médecins dont l’un bégaye pendant que l’autre allonge les mots, un père ridicule, une servante, sorte d’Arlequin au féminin : le travail sur les costumes va aussi en ce sens et la générosité du jeu des comédiens convient parfaitement au projet.

Vous n’avez pas souvent monté Molière…
En effet, je ne l’ai monté qu’une fois, avec Jacques Weber dans L’Avare. Pour moi, Molière, c’est une sorte de souvenir d’enfance, lié au plaisir pris à sa lecture quand j’étais adolescent. Mais plus qu’un retour à l’enfance, c’est une plongée dans le plaisir du jeu et des situations. La sensualité du jeu est réelle dans cette pièce et il y a un plaisir évident à la farce. Derrière les thèmes abordés, résonne l’angoisse de la mort que nous avons traversée pendant la pandémie : il y a quelque chose comme une revanche que porte la jouissance de la farce.

Propos recueillis par Catherine Robert pour le Journal La Terrasse

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