Entretien avec José Galán, chorégraphe du spectacle “Gozo y llanto”

José Galán s’intéresse depuis plus de dix ans à l’apport du handicap dans le flamenco. Le 27 mai, on pourra découvrir un spectacle de sa compagnie Flamenco Inclusivo sur la scène du Escher Theater. Dans un entretien, il explique pourquoi son art est aussi politiquement incorrect que nécessaire.

L’univers du flamenco n’a jamais été étranger au handicap. Du moins c’est ce que semblent indiquer les surnoms assez « politiquement incorrects » de nombre de ses artistes : Cojo de Huelva (le boiteux de Huelva), Cara Pato (tête de canard), Gordito de Triana (le dodu de Triana), Ciego de la Playa (l’aveugle de la plage)… Comment cela a-t-il influencé votre décision de faire de l’inclusion le fil conducteur de votre formation et de votre travail ?

Cela m’a énormément influencé, mais c’était plus tard. Tout d’abord, j’ai créé la Compañía de Flamenco Inclusivo, en 2010. Cela coïncide curieusement avec la déclaration du flamenco en tant que patrimoine culturel immatériel de l’humanité, qui justifie pleinement notre philosophie : la démocratisation du flamenco pour toutes les personnes sans discrimination d’aucune sorte, élevant cet art à la catégorie de l’universel. C’est en 2011 que j’ai fait des recherches sur l’apport du handicap dans le flamenco. J’ai découvert une multitude de cas d’artistes présentant une diversité fonctionnelle tout au long de l’histoire du flamenco, de ses débuts à aujourd’hui. Cette découverte éclaire ma praxis et approfondit le cadre académique de mon projet de flamenco inclusif. Je poursuis mes recherches sur ce sujet, ce qui constitue le contenu de ma thèse de doctorat.

Le plus évident serait de penser que l’utilisation de ces surnoms traduirait un manque de considération pour ces personnes. Une autre interprétation possible serait symétriquement opposée : leur utilisation pourrait être une conséquence de l’acceptation sociale des différences comme des caractéristiques personnelles, dépourvues de connotations négatives ; il s’agirait donc d’une forme d’expression acceptable dans une société plus inclusive que la société actuelle. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ce phénomène est évoqué dans mon travail de recherche doctorale. Dans le passé, les surnoms étaient utilisés comme noms de scène, il y avait donc une plus grande acceptation sociale de la diversité. Cependant, nous vivons aujourd’hui dans une société fausse, une société de façade, à la recherche d’une perfection qui n’est pas réelle. Le flamenco inclusif est une leçon à tout cela, pour mettre les pieds sur terre et « s’enraciner dans le jondo (le profond) ». Le flamenco connaît bien cette réalité, car il est issu de la douleur d’un peuple qui crie avec ses chants et ses danses ce que son âme tait pour se donner de la dignité. De la vulnérabilité naît l’autonomisation ou la dénonciation sociale afin d’atteindre l’égalité, la justice et la liberté.

L’inclusion s’applique à toute personne impliquée dans un processus créatif. Quelles sont les clés ? Quels sont les résultats ?

On parle d’inclusion totale lorsque la participation active de l’ensemble de la société est atteinte. Pour y parvenir, nous devons disposer des ressources nécessaires à l’égalité des chances, et cela ne peut se faire que par l’accessibilité universelle. Personnellement, dans la formation, j’utilise des stratégies d’enseignement méthodologiques qui tiennent compte de la diversité et, dans les processus créatifs, je pars de capacités ou de limitations diverses comme point de départ créatif. Ce que chaque personne peut apporter de sa diversité enrichit la scène. Être soi-même apporte vérité et authenticité ou ce que l’on appelle en argot flamenco la « pureté ». Ce qui vient de l’âme se déplace et se transmet au public, ce qui est la principale caractéristique du flamenco.

Le « politiquement incorrect » est-il toujours une réalité dans le flamenco, comme c’était le cas autrefois ? Que souligneriez-vous sur ce qui reste à faire, tant dans le flamenco que dans d’autres expressions artistiques ? Où commencent les obstacles et où doit commencer l’ouverture aux soi-disant différences ?  

Le flamenco, lorsqu’il se professionnalise, cesse d’être naturel et inclusif. Plus tard, les ballets flamenco commencent à apparaître, de sorte que tout tend à s’uniformiser et que le goût du « différent » se perd, laissant de côté l’originalité, sauf dans quelques cas dissidents. Le flamenco est un art vivant qui suit le rythme et la cadence que la société lui impose. Mais le flamenco peut aussi aller de l’avant, en tant qu’activiste, par le biais des arts ou en tant que moteur du changement social. C’est un moyen de remuer les consciences, d’éliminer les préjugés et de dépasser les stéréotypes.

Y a-t-il un moment qui a eu un impact particulièrement fort sur vous ?

La flashmob que j’ai chorégraphié pour l’ouverture de la Biennale de Flamenco de Séville en 2018,  dédiée à la Diversité, a eu une répercussion internationale du « concept » de mon Flamenco Inclusif. J’en parle comme je le ressens, comme si c’était le fils que je n’ai jamais eu. Je l’aime profondément.

Y a-t-il des rêves que vous espérez voir se réaliser ?

Il y a beaucoup de rêves à réaliser, mais je me sens chanceux, car parfois le présent nous offre des moments que je n’avais même pas pensé à rêver. Je ne veux donc même pas souhaiter l’avenir, mais que la vie me donne et me surprenne avec les bons souhaits que je garde dans mon subconscient pour Flamenco Inclusivo, en tant qu’école et en tant que compagnie de danse.

Propos recueillis par Paca Rimbau et Jesús Iglesias.

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